SPORT365.FR, 19.10.2007

Alain Prost: « Hamilton ne doit pas se poser de questions »


Interview: Jean-Moise DUBOURG

Avant le dernier rendez-vous de la saison, ce week-end au Brésil, Alain Prost livre ses impressions alors que trois pilotes se battront pour le titre. Selon le quadruple champion du monde, Lewis Hamilton aura le plus de pression à gérer.

Alain, il y a deux semaines, vous nous disiez que Lewis Hamilton, le leader du Championnat, devait « se méfier » avant le Grand Prix de Chine. Visiblement, il a échoué puisqu’il a commis sa première erreur de la saison en sortant de la piste dans la voie des stands. Une erreur qui tombe vraiment au plus mauvais moment…
Oui, elle tombe mal et elle n’est pas anormale pour un pilote qui a tout de même très peu d’expérience. Il a tellement été parfait depuis le début de la saison… L’erreur qu’Hamilton et son écurie ont commise, c’est d’avoir appréhender le Grand prix de Chine comme une course différente, c'est-à-dire qu’ils voulaient absolument gagner. La première grossière erreur de McLaren est venue du fait de ne pas rappeler Hamilton au stand alors qu’il perdait 4 à 6 secondes au tour et que tout le monde voyait sur les écrans que les pneus étaient endommagés. La deuxième erreur, c’est celle d’Hamilton qui rentre dans les stands très vite alors que la piste s’assèche et que la voie des stands est mouillée. Cette faute est vraiment due au manque d’expérience. Ce qui est dommage et difficile pour lui, c’est qu’il ne reste désormais plus qu’une course. Il mérite tout de même d’être champion du monde. Il faut le reconnaître au regard de l’ensemble de la saison.

On se retrouve maintenant dans une situation incroyable avant le dernier Grand Prix de la saison puisque trois pilotes peuvent encore être sacrés champion du monde. Qu’est-ce qui va faire la petite différence pour le sacre?
C’est vraiment le type de course où vous pouvez tout envisager. Ça dépend de tellement de choses et d’abord de la compétitivité des voitures… Un pilote est vraiment dans des conditions psychologiques parfaites, c’est Räikkönen. Lui, il doit gagner, il ne s’occupe de rien d’autre. Déjà que dans son comportement et sa mentalité, il est relativement en dehors de toute histoire, toute polémique... Là, il ne vise que la victoire. Son équipe, elle, aimerait placer Massa en deuxième position, si possible. Un petit bémol, entre parenthèses, du côté de Ferrari avec la fourniture par Bridgestone, pour ce Grand Prix du Brésil, des pneus les plus souples. Or, ces gommes n’ont jamais bien convenu à Ferrari, d’où ce petit point d’interrogation. Autre paramètre: la météo, imprévisible à ce moment de l’année à Sao Paulo. Autre interrogations: dans quel état d’esprit sera Alonso? Il préfèrera, quoi qu’il arrive, que Räikkönen gagne le Championnat plutôt que son coéquipier. Est-ce que la bévue de McLaren et Hamilton ne va pas affaiblir le Britannique? Personnellement, je ne pense pas. Il sera à 100%. Mais un accrochage dans le premier virage n’est pas à exclure. En résumé, il y a vraiment beaucoup de paramètres et de scénarii possibles.

Quels sont les atouts et les handicaps des trois prétendants?
Hamilton a deux atouts: sa rapidité, son habileté à piloter sa monoplace au top et le soutien inconditionnel de son écurie. A la limite, il ne faut pas qu’il se pose trop de questions lors des essais et du début de la course; il aura le temps de s’en poser pendant la course et j’espère que son équipe le conseillera de la meilleure manière possible. L’atout d’Alonso, c’est sa volonté de gagneur. Il a vraiment une revanche à prendre. Il voudrait bien partir de cette équipe avec un titre de champion du monde. Lui non plus n’a pas grand-chose à perdre lors de cette course. Il est deux fois champion du monde, il va tenter le tout pour le tout. Et même s’il fait une erreur, ce sera moins grave compte tenu de la saison qu’il vient de passer. Enfin, Räikkönen, psychologiquement, n’a pas grand-chose à perdre et aura, en plus, le soutien de son coéquipier. Ça fait donc beaucoup de paramètres à prendre en compte. Au niveau mental, la position la moins facile est celle d’Hamilton. Il aura la pression.

Qui, selon vous, mérite le plus le titre?
Malgré tout, je pense que c’est Hamilton. Si on fait abstraction des polémiques, il a réussi une saison étonnante pour sa première année en F1. Il a fait une petite erreur, d’accord, qui lui coûte très cher mais tous les autres en ont fait. Donc, sur la rapidité, la constance, la solidité, je pense que c’est lui qui mérite le titre. Alonso, indépendamment des problèmes internes à l’équipe, n’a pas été hyper performant par rapport à Hamilton. Il était toujours un tout petit poil « en dessous » même s’il a fait de très belles courses. Räikkönen, on en a parlé un peu moins parce qu’il a fait un mauvais début de saison. C’est le seul qui a eu des ennuis mécaniques et qui a abandonné pour des problèmes de fiabilité. Sans ces abandons, il serait en tête du Championnat et on peut dire , d’une certaine manière, qu’il le mérite aussi. Il a été plus discret, c’est quelqu’un qui ne parle pas, qu’on ne voit pas beaucoup mais il a quand même gagné cinq courses, c'est-à-dire plus qu’Hamilton. Au final, je dirais que les trois méritent le titre pour des raisons diverses et c’est tout de même très, très beau de voir un Championnat se terminer avec trois pilotes qui se battent lors de la dernière course.

Comment sentez-vous la course de dimanche? Que va-t-il se passer?
Honnêtement, on pourra « sentir » la course quand on verra les voitures rouler lors des essais. En début d’année, par exemple, la Ferrari était très rapide en ligne droite par rapport à la McLaren mais si vous regardez les derniers Grands Prix, c’est l’inverse. Ce qui veut dire que la McLaren a beaucoup progressé cette année et que sur un circuit où il y a une grande ligne droite en montée, la vitesse de pointe est très importante. Donc je mettrais un petit avantage à McLaren. Avant de voir les forces en présence, je dirais aussi qu’on va peut-être voir une lutte Hamilton-Alonso et une Ferrari un tout petit peu en retrait. Bien que je n’en sois absolument pas sûr, dans ce cas-là, la position d’attente de Räikkönen serait intéressante. On va peut-être aussi avoir des stratégies différentes à un, deux, voire trois arrêts et une prise de risque de la part d’une écurie.

Comment avez-vous géré ce même type de situation en 1986?
J’ai connu ça en 1986 où j’étais dans la position de Räikkönen avant de remporter le Championnat. C’est vrai qu’il y a une similitude absolument incroyable: deux pilotes qui ne s’entendent pas dans la même équipe avec la meilleure voiture. Or quand deux pilotes ne cohabitent pas, on en oublie l’adversaire et l’objectif final. A l’époque, c’était Mansell et Piquet sur la Williams-Honda qui étaient plus performants que nous. J’étais en position de gagner le Championnat et je l’ai fait grâce à des circonstances favorables et à une bonne préparation de la course. Piquet et Mansell se surveillaient mutuellement et m’avaient un peu oublié. C’est ce qui pourrait arriver ce week-end.



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