AUTO HEBDO, 31.05.1979

VOS QUESTIONS LEURS REPONSES - ALAIN PROST


Propos recueillis par Xavier de NOMBEL

C'est dans l'avion qui le ramenait de Donington qu'Alain Prost a répondu aux questions des lecteurs d'Autohebdo. Sa course de I'après-midi ne s'était pas déroulée comme il l'avait prévue; d'abord la perte de sa bavette avant avait rendu très délicate la conduite de sa Martini; de plus, un attardé lui avait fait perdre la seconde place. Le premier moment de déception passé, son esprit avait très vite quitté la pluie anglaise et se promenait déjà sous le soleil monégasque ou il espérait prendre une revanche devant tout le gratin du Formula One Circus, gratin qu'il voudrait bien rejoindre la saison prochaine.

Que pensez-vous de l'équipe de Tico Martini et Hugues de Chaunac?
C'est une grande équipe de professionnels qui a fait ses preuves en F2 et même en F1. Il y en a peu comme elle en F3 et F2 actuellement. Ce qui est très important, c'est que l'on est en parfaite confiance entre nous et l'on peut ainsi travailler de façon très efficace. La seule chose qui leur manque, ce sont les moyens financiers.

En quoi la Martini Renault MK 27 est-elle supérieure aux autres voitures du championnat d'Europe de F3?
La MK 27 est une évolution de celle de l'année dernière remise à la mode wing-car. On ne sait si elle est supérieure aux autres et pour quelle raison. D'ailleurs, si on le savait, on se garderait bien de le dire! Mais sa très grande qualité est d'être très homogène; elle est bien partout et lorsque l'on arrive sur un circuit, on n'a pas à chercher et patauger dans les réglages. On peut bien les peaufiner. C'est vraiment une super voiture et un super moteur.

En 76, en Formule Renault, vous surclassiez vos adversaires. A quoi attribuez-vous cette domination?
Je pense que, sans me vanter, j'étais un des seuls à me pencher sur le problème des réglages de la voiture. Nous avions tous le même moteur et ce n'est pas lui qui pouvait faire la différence, mais le châssis. J'ai d'ailleurs par deux fois emprunté un autre moteur et le résultat a été le même. Et de plus, j'avais un pilotage qui s'adaptait parfaitement à la Formule Renault, pilotage que j'ai d'ailleurs gardé, très coulé et peu en glissade. Je pense donc que les autres pilotes n'ont pas été assez loin dans l'étude de leur châssis et de son comportement pour venir me battre.

Pensez-vous que la F. Renault joue toujours son rôle de promotion?
Oui, la Formule Renault est une bonne formule de promotion; il y a 80 ou 100 engagés chaque année, c'est donc un fait établi. Mais le problème est que cette promotion ne se fait plus après, soit parce qu'il n'y a pas de sponsors, soit parce que ceux de la Formule Renault ne suivent pas leur pilote en F3. Le seul à avoir suivi une politique cohérente a été Elf qui prenait un pilote à la base et le poussait jusqu'à la F1 s'il en était capable. Il faudrait d'autres sponsors nouveaux pour que la promotion se fasse.

Que pensez-vous de Thierry Boutsen?
Tout le monde en dit du bien mais il est trop tôt pour le juger, il a fait de bonnes choses à Zolder et Vallelunga; mais il faut attendre de le voir devant pour connaître ses possibilités. Il a d'ailleurs eu des problèmes avec sa Ralt et vient de la changer contre une March. Donc, attendons un peu.

Quelle différence de pilotage y-a-t-il entre une Formule Renault et une Formule 3?
C'est différent mais ça se conduit un peu pareil. Beaucoup de pilotes disent qu'il faut être plus brutal, et qu'il faut balancer la voiture. Moi, non je reste très coulé.

Que pensez-vous de l'évolution que prend la Formule 3 avac l'apparition des wing-cars et la bataille des pneus?
C'est un peu inquiétant parce qu'on arrive à des coûts exorbitants. Il faudrait imposer des pneus capables de faire à la fois et les essais et la course. Par contre le côté technique est très bon parce que très proche de la F2 et même de la F1. On doit travailler beaucoup plus qu'avant pour régler une voiture; j'ai ainsi beaucoup plus d'expérience et je suis beaucoup plus technicien qu'un pilote de F3 d'il y a trois ou quatre ans. C'est un avantage pour la suite de ma carrière.

Allez-vous faire quelques courses en F2 cette année?
Pour l'instant toute ma saison est basée sur le championnat d'Europe de F3; donc, rien n'est prévu en F2; il faut dire que je n'ai pas cherché d'occasion, mais je ne suis pas contre à condition d'être dans une bonne voiture et une bonne écurie.

Et l'année prochaine en F2 sur Martini?
Je n'en sais rien du tout. Et cela ne dépend pas de moi, mais pourquoi pas?

Qu'avez-vous retiré de votre expérience avec Kaushen en F2 en 1977?
J'ai appris quelque chose de très important: ne jamais accepter le volant d'une mauvaise voiture ou d'une mauvaise écurie. La Kaushen était très mal préparée et je me suis fait une contre-publicité à courir pour eux. L'année dernière j'ai accepté le volant de la Chevron de Fred Opert parce que c'était une bonne écurie. Il faut donc bien réfléchir avant d'accepter une proposition; d'autant plus que se battre avec une mauvaise voiture ne peut pas vous apporter grand chose.

On dit que Ligier vous tient en haute estime. Est-ce que vous ne feriez pas un ou deux Grands Prix en fin de saison sur une Ligier?
C'est vrai que je suis en très bons termes avec Ligier. Il y a deux ans, il m'avait même proposé de faire des essais sur sa F1. Mais cela ne s'est pas concrétisé par manque de temps de leur part. Pour cette année, ils ont le championnat du monde comme cible, alors je ne pense pas qu'ils me proposeront quelque chose, pour le moment. Mais, de toute façon, je ne serais pas contre, au contraire.

Pensez-vous que le "bond" de la F3 à la F1, sans passer par la F2, à l'image de Lammers par exemple, soit une bonne solution?
Comme je l'ai dit tout à l'heure, la F3 est de plus en plus sophistiquée et demande au pilote d'être un bon technicien. Comme la F3 est très proche de la F2, je pense que passer directement en F1 permet de sauter un échelon et de gagner un an. De plus, durant la première année, on ne vous demande pas de gagner un G.P. mais d'apprendre. Le meilleur exemple est donné par Nelson Piquet qui se permet d'être devant Lauda après quatre ou cinq courses seulement. Moi-même, j'aimerais bien faire de même et débuter en F1 en 1980. Sincèrement, je me sens mûr pour m'aligner en G.P.

Dans quelle équipe aimeriez-vous débuter en F1?
Dans un top-team, évidemment. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure au sujet de la Kaushen, je ne pense pas que débuter dans une écurie très moyenne soit une bonne chose. Si vous vous traînez dans une mauvaise voiture, on a vite fait de vous coller une mauvaise image sur le dos et il est difficile ensuite de s'en débarrasser. Mais je ne me fais pas d'illusions, je n'aurai pas un très grand choix devant moi. Alors, on verra bien.

Vous intéressez-vous aux 24 heures du Mans et comptez-vous y participer?
J'aimerais beaucoup participer au Mans et surtout sur une voiture qui puisse gagner. Mais j'ai axé ma saison 79 sur le championnat d'Europe de F3 et il n'est pas question de prendre le risque d'avoir un pépin et de compromettre le reste de ma saison; c'est pourquoi j'ai préféré refuser une proposition que l'on m'a faite pour juin prochain. Ce sera peut-être pour le Mans 1980. Je ne sais pas.

Quel est le défaut que vous détestez le plus chez un pilote?
En général, j'évite de juger les pilotes; chacun de nous a un certain nombre de défauts; malgré tout il en est deux que je n'apprécie pas du tout: ce sont l'hypocrisie et surtout la jalousie. Si un pilote a la possibilité d'entrer dans une meilleure écurie que moi ou de passer dans la catégorie au dessus, je me dis "tant mieux pour lui". Si Patrick Gaillard, par exemple, peut courir en F2 grâce aux lecteurs d'Autohebdo, je trouve cela très bien pour lui et je n'en épreuve aucune rancœur. Maintenant, c'est à chacun de mener sa barque, sans s'occuper de ce qui peut arriver aux autres.

Quel est le pilote que vous admirez le plus?
Actuellement, il n'y en a pas un, en particulier. Par contre, j'ai beaucoup d'admiration pour l'ensemble de la carrière de Jackie Stewart et pour sa reconversion qu'il a terriblement bien réussie. Il a su, après trois titres de Champion du Monde, s'arrêter et continuer à vivre dans le milieu du sport automobile.

Quels sont vos circuits préférés?
Tous les circuits me plaisent, mais j'ai tout de même un faible pour ceux qui sont naturels comme Rouen, Pau, Monaco. Ceux-là sont plus sélectifs et on peut davantage voir la différence entre les pilotes. Le Nürburgring est par contre trop sélectif parce que trop long. On ne peut y être à l'aise qu'après deux ou trois courses et donc un débutant est désavantagé.

Quel est le meilleur souvenir de ta carrière?
Chacune de mes vingt-quatre victoires!! …Mais je me souviens particulièrement de la dernière course de Formule Renault Europe, en 1977, qui était décisive pour l'attribution du titre de champion de France. J'avais cassé deux moteurs aux essais et ma voiture marchait mal en course. J'ai tout de même réussi à finir septième et empocher ainsi le titre, ce qui fut très dur. Par contre, j'ai un très mauvais souvenir du début de la saison 1978 parce que rien ne marchait. Je me faisais beaucoup de soucis pour mon avenir qui était plus qu'incertain. Heureusement, il y a eu Jarama qui m'a bien regonflé.

Que vous ont apporté vos saison en Karting?
J'ai énormément appris durant mes quatre ans de kart. D'abord, je savais piloter, freiner, glisser; c'est une très bonne approche de la compétition qui fait que, lors de la finale du volant Elf, je peux dire que j'étais un pilote tandis que les autres concurrents étaient encore des élèves. J'avais déjà une mentalité de pilote. C'est vraiment une très bonne approche de la compétition automobile.

Est-il vrai que vous êtes pessimiste?
Non, pas du tout. La preuve est que ce matin, à Donington, je n'étais qu'en cinquième position sur la grille; cela ne m'empêchait pas de penser pouvoir gagner le course (Alain finira en troisième position après avoir eu des problèmes de tenue du route sous la pluie). Je pense être plutôt réaliste, et j'essaie toujours de voir les événements en face. Par contre je suis très vite anxieux, et j'ai toujours peur qu'un boulon soit mal serré ou que l'on ait oublié quelque chose. Je n'appelle pas cela du pessimisme.

Vous êtes stéphanois et grande amateur de football. Aussi, vous devez bien connaître l'équipe des Verts. Quelle sont vos relations avec eux et que pensent-ils de la course?
C'est vrai que j'aime beaucoup le foot et je vais voir un match chaque fois que je suis à Saint-Etienne. On est de bons copains et je crois qu'ils suivent chacune de mes courses. J'aurais bien voulu tenter une carrière dans ce sport, mais on ne peut pas tout faire!



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