GRAND PRIX SPECIAL, 29.06.1997

ALAIN PROST
"Une rude épreuve"


Voir un pilote se blesser au volant d'une voiture portant ton nom, y avais-tu songé en devenant Patron d'écurie?
Cela me hantait. C'est une expérience que je ne souhaite à personne. J'y avais pensé en pesant le pour et le contre, parmi d'autres éléments, au moment de prendre ma décision. Mais c'était quelque chose d'abstrait, tu vois? A Montréal, j'ai ressenti une terrible impuissance en même temps qu'une grande frayeur en voyant la sortie d'Olivier sur mon écran de contrôle. On a beau être directement concerné, au centre du théâtre des événements, je n'en savais pas plus que le premier quidam venu regardant la télé. Ce fut une rude épreuve, même, si on doit voir le côté positif des choses et se dire qu'Olivier s'en tire bien sachant qu'il a tapé à 226 km/h selon notre télémétrie. L'opération s'est bien passée et il sera de retour parmi nous le plus vite possible. C'est important car il est un élément fondamental de l'équipe, pour ne pas dire un de ses piliers.

Sans lui, vous allez être moins compétitifs?
Forcément. Emmanuel Collard est un garçon plein de talent mais il n'a jamais pris le départ d'un Grand Prix. Il a beaucoup tourné en essais privés, notamment l'an passé chez Tyrrell, et il a des milliers de kilomètres en F1 derrière lui mais rien ne remplace l'expérience de la course. Je vais le guider le mieux possible, en espérant qu'il ne fasse pas trop de conneries! Cela dit, il mérite cette chance même si elle tombe pour une mauvaise raison. Mais avec Collard et Nakano, on part avec deux débutants, donc toute l'équipe va devoir se serrer les coudes.

Le retour d'Olivier est-il déjà planifié?
C'est impossible à préciser. La médecine dit qu'il faut entre deux et quatre mois mais chacun sait que les grands sportifs sont des êtres exceptionnels capables de faire preuve d'une volonté bien au-dessus de la moyenne. Deux mois, ce serait déjà bien; quelques semaines, ce sera un miracle... Va pour le miracle!

Hormis ce drame, quel est le premier bilan de ton nouveau job: comme tu l'imaginais, comme tu le voulais?
Je l'ai voulu, ça c'est sûr, et j'imaginais bien les difficultés. Mais c'est dur, c'est un travail de tous les instants: je m'occupe de tout, tout le temps, et j'ai rayé le mot loisir de mon vocabulaire! Le fait d'avoir repris l'équipe juste avant le début de la saison est à la fois un avantage et un handicap: j'ai eu très peu de temps pour y mettre mon grain de sel et je prenais le train en marche. D'une part, la base était excellente, avec un très bon châssis et un motoriste performant; d'autre part, il y avait un budget limité et un pilote ayant tout à apprendre voire à prouver. Mais je me suis lancé dans l'aventure avec beaucoup d'enthousiasme et une passion intacte. J'ai eu la chance de tomber sur des gens compétents et motivés, pour la plupart, en misant sur une saison de préparation - je dis bien: préparation! (Alain sourit) - pour mieux préparer l'avenir et la première Prost-Peugeot, celle de 1998. Avec Canal +, Bic et Alcatel, nos moyens augmentent. D'autres partenaires vont suivre avec Peugeot et des synergies seront possibles après notre déménagement dans la région parisienne. Nous allons passer de 100 personnes à environ 150. Mon souhait est de prouver qu'un top team de F1 peut être basé en France, issu de France, sans pour autant être une équipe de France. Mais je tiens à cette représentation nationale, à faire de Prost Grand Prix une vitrine de la haute technologie française.

Ton expérience vécue chez McLaren t'a-t-elle beaucoup servi?
Elle m'a permis de vivre une saison de F1 en ayant davantage de recul que quand je pilotais et en étant plus directement concerné que lorsque je commentais pour TF1. Techniquement, j'ai pu pénétrer dans une des meilleures équipes de F1 à tous les niveaux: conception, exploitation, organisation. Ma collaboration avec Mercedes m'a aussi permis d'évaluer l'implication d'un grand constructeur comme partenaire-motoriste. Politiquement, enfin, Ron Dennis n'est pas le premier venu. Ce fut un bon écolage!

Vos résultats de la première demi-saison furent inespérés. Comment vois-tu la suite, à moyen et à long terme?
Le podium du Brésil, acquis à la régulière, puis la course en tête en Argentine nous ont rapidement mis sur orbite. Après, il y a eu des hauts (Barcelone) et des bas (Imola) mais nous sommes dans le coup: pour preuve, Olivier est toujours 3e au championnat! Avec Panis, je pense que nous pouvons viser la victoire dans certaines circonstances, sur certains circuits plus favorables au Bridgestone. Peut-être à Suzuka? En l'absence d'Olivier, j'espère que nous pourrons marquer des points régulièrement afin de jouer placé au championnat constructeurs. C'est important pour l'avenir. A long terme, l'objectif, c'est évidemment de gagner, d'être champion du monde. Nous avons signé pour trois ans avec Peugeot mais le plus tôt sera le mieux.

Pour viser le titre dès 1998, que vous manque-t-il aujourd'hui?
Des moyens. De l'argent et des hommes. En déménageant et en nous mariant avec Peugeot, l'équipe va se transformer, passer d'une époque à une autre. Les écuries anglaises de pointe, comme McLaren, Williams et Benetton, disposent de budget deux fois plus important avec deux fois plus de personnel et des usines ultra-modernes, sans parler de compétences multiples auprès des nombreux sous-traitants britanniques. Nous devons faire prendre la mayonnaise en exploitant au mieux nos moyens et nos compétences, y compris avec es partenaires comme Alcatel et Dassault par exemple, tout en faisant appel à des fournisseurs étrangers quand c'est nécessaire. Tout cela prendra un certain temps mais cela dépendra surtout de l'argent disponible.

A propos d'argent, que penses-tu de la mise en bourse de la F1?
C'est une idée brillante si l'opération est bien managée, et je ne doute pas que Bernie et Max y consacrent tout le temps et l'énergie voulus. Ce sera positif pour les écuries, avec de l'argent frais et de nouvelles sources de financement. Je suis seulement attentif à la répartition du patrimoine que représente la F1: les écuries en sont les valeurs les plus concrètes, elles représentent les acteurs mais aussi les fournisseurs du spectacle. Elles doivent donc être rétribuées en tant que tel. Le patrimoine de la F1 ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui sans les teams qui ont fait son histoire.

As-tu été bien accepté parmi les patrons d'écurie, dont tes anciens employeurs?
Absolument. Je fais partie de la famille et ils connaissent ma détermination. Avec Jean Todt et Flavio Briatore, et dans une moindre mesure Sauber et Minardi, nous constituons un pôle "continental" face aux équipes anglaises traditionnellement fortement représentées. C'est bénéfique à la F1 toute entière. D'ailleurs, en m'encourageant à reprendre Ligier, Ecclestone souhaitait maintenir une grande écurie française. Maintenant, il faut nous imposer sur le terrain en gagnant des courses puis le championnat. Il y a du pain sur le planche mais ça tombe bien: j'ai plutôt faim!

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE VAN VLIET



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