LA CÔTE, 26.03.2003

"Ma vie pourrait prendre un virage inattendu"



Propos recueillis par Denis Terrapon
(With friendly allowance of Denis Terrapon)

Le lustre qu’il a passé aux commandes de son écurie s’est soldé par quatre ans et demi de galère et une mise en liquidation judiciaire (le passif avoisinait les 50 millions de francs, soit le prix du moteur Acer qu’il a racheté à Ferrari en 2001). Quatorze mois moins un jour se sont écoulés depuis cette sortie de route. S’il affirme ne pas avoir totalement rechargé ses batteries, Alain Prost aperçoit enfin le bout du tunnel. Du moins je l’espère! De passage dans sa villa nyonnaise, le quadruple champion du monde de Formule 1 a accepté de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur et d’esquisser les contours de son futur retour, non sans avoir pris le temps d’embrayer sur le présent.

Le Championnat du monde de F1 a repris ses droits. Renault a décroché dimanche un 3e rang à Sepang. Est-ce une surprise?
Pas vraiment. Ne viser que quatre podiums alors que l’on travaille sur les mêmes bases depuis vingt ans, c’est déjà un constat d’échec en soi.

Quels sont les concurrents les plus dangereux pour Ferrari?
McLaren et Williams en terme de constance. Dans le rôle du trouble-fête, je vois assez bien Toyota. A l’instar de l’écurie japonaise, la Scuderia souffre d’un léger retard à l’allumage, mais sur l’ensemble d’une saison, elle reste invincible.

Le nouveau règlement promet un million de dollars au délateur d’une tricherie avérée. Un bien?
Pfff… En être arrivé à cette triste extrémité signifie que le contrôle des épreuves est perdu. Je préfère donc commenter les changements sportifs. Le barème des points cuvés 2003 est intéressante, mais n’est qu’artifice. Plus d’incertitude prévaut grâce à la réforme des qualifications (établi désormais sur un seul tour lancé, le chrono du samedi fait référence et le plein d’essence est interdit par la suite). Néanmoins, je ne suis pas encore certain que le spectacle en sortira grandi. Si les ravitaillements étaient supprimés en course, la stratégie des teams et le talent des pilotes serait mis davantage en exergue. Je milite pour l’application de règles de ce type depuis 1995, alors je suis à l’aise pour juger. Sincèrement, des réformes profitables seraient simples à réaliser si les Accords de la Concorde ne requéraient pas un aval unanime des équipes.

L’origine des maux de la F1…
Tout à fait. La Fédération doit avancer avec le frein à main à cause des écuries. Les techniciens sont compétents, mais sont à la botte de directeurs ne possédant pas ou peu de connaissances de la compétition. Dès lors, pourquoi plongeraient-ils dans l’inconnu si c’est pour perdre leurs avantages?

Jordan et Minardi bénéficient cette année d’une subvention (48 millions de francs suisses). Cette nouvelle vous réjouit-elle?
Naturellement. Sans cette manne de Bernie Ecclestone, quatre écuries seraient rentrées définitivement au stand en ce début de millénaire, avec Arrows et la nôtre. En outre, je ne suis pas rancunier du fait que ce soutien ait été octroyé une année trop tard. Le système est ainsi fait qu’il réagit après les accidents au lieu de chercher à les prévenir. J’ai fini par en prendre mon parti!

Prost Grand Prix comptait encore 197 employés lorsque la faillite a été prononcée. Seuls 10% d’entre eux n’ont pas été reclassés. Leur salut peut-il passer par un retour à la production de voitures de série?
Oui, bien que cela soit du cas par cas. Certains (surtout les pères de famille et les techniciens âgés) peuvent difficilement s’expatrier. D’autres ont choisi d’attendre pour ne pas se retrouver dans une voie de garage. A l’heure actuelle, il est pourtant bon d’accepter un "petit" poste pour mieux rebondir ensuite.

Les restes de votre écurie ont été vendus aux enchères. Avez-vous conservé quelques objets?
Non. Je ne souhaitais pas garder de trace matérielle. Pour ce qui est des souvenirs, là, en revanche…

Au terme de l’aventure, vous avez parlé d’un fiasco national. En définitive, votre principale erreur n’a-t-elle pas été de croire en un soutien français?
Peut-être. J’ai longuement hésité avant de relever ce défi. Je regrette de l’avoir fait, mais je me serais sans doute repenti si j’y avais renoncé. La demande était forte (de la part du gouvernement notamment). Le problème est que dans mon pays, les projets foisonnent, mais rares sont ceux qui se jettent à l’eau ou qui assument jusqu’au bout. Le Défi Areva en a aussi fait l’amère expérience. Il a ramé pour trouver 35 millions de francs. Nous avons connu mille peine à en réunir 75. Les médias ont fait état d’un gros budget bien que nos adversaires tournaient avec sept fois plus. C’est écoeurant de voir une telle désinformation, autant de jalousie, d’égoïsme, de se faire constamment poignarder dans le dos sans même que cela ne profite à l’auteur du coup tordu (les contrôles fiscaux répétés et les charges sociales en vigueur dans l’Hexagone n’ont rien arrangé!).

Le milieu de l’automobilisme est un microcosme. Vous avez eu des désaccords avec des associés. Cela a-t-il pu refroidir des repreneurs potentiels?
Des différends, je n’en ai connu qu’avec Peugeot! Ce partenaire s’est montré inexistant du début à la fin. Ne s’était-il pas engagé à nous fournir un matériel de champion du monde? Il n’aurait jamais dû s’impliquer ou se retirer plus vite, afin que nous puissions vivre sans cet énorme handicap.

Vous disiez aussi que passer d’un baquet de pilote à un fauteuil directorial sans transition ne serait pas entreprise aisée, même pour qui vient du sérail. Estimez-vous toujours avoir le profil de l’emploi aujourd’hui?
La question n’est pas de savoir si j’ai l’étoffe d’un patron ou non. En tant que chef d’entreprise, je porte une part de responsabilité. J’ai répondu aux requêtes de mon entourage, mais commis des fautes. Reste que je plaide les torts partagés. Je le répète et en suis convaincu: si nous ne figurons plus sur la grille de départ, ce n’est de loin pas uniquement ma faute!

L’Équipe Magazine a publié en janvier la troisième édition du classement "les 100 Français qui font le sport". Alors que vous étiez 1er en 1989 et 10e en 1997, vous n’y figurez pas cette année. Cela vous affecte-t-il?
Absolument pas! Je n’accorde aucune valeur à ces hiérarchies subjectives. Ma cote de sympathie, je la mesure au contact des gens.

Aux Etats-Unis, vous restez l’un des sportifs étrangers les plus populaires. Vous envisagiez d’y combiner des écuries de CART (monoplaces) et de NASCAR. Est-ce encore à l’ordre du jour?
J’étudie plusieurs offres, mais je n’entends rien précipiter. Je n’ai plus de timing à respecter et la conjoncture ne se prête guère à un démarrage sur les chapeaux de roues. Et puis… je ne reviendrai pas forcément là où l’on m’attend!

Indépendamment du domaine, utiliserez-vous à nouveau le label "Prost" ou choisirez-vous une franchise déjà existante?
J’opterais sans hésitation pour la seconde alternative. En F1, ce n’était pas moi qui avait insisté pour que mon nom soit employé.

Propos recueillis par
Denis Terrapon



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