AUTO HEBDO, 25.09.1980

CHRONIQUE ALAIN PROST
VIVEMENT QUE ÇA TERMINE... ET QUE ÇA RECOMMENCE!



Imola
J'y avais déjà couru il y a quatre ans en Formule Renault, et, comme pour le Grand Prix, j'étais déjà parti dernier sur la grille, car j'avais cassé mon moteur lors de la première manche! Imola a peut-être quelque chose contre moi après tout! Pour redevenir sérieux, disons que le tracé a considérablement été modifié depuis ma dernière visite, surtout dans deux endroits assez rapides, dont l'un a été rendu très lent, trop lent même, puisqu'il passe en première et qu'il est impossible d'y doubler ou d'y entrer à deux de front. C'est pourquoi, lors des essais, de nombreuses voitures ont tiré tout droit dans l'herbe, la moindre petite faute interdisant toute tentative de rattrapage... Maintenant, au point de vue sécurité, il est évident que le progrès est très sensible, en dépit du fait que le freinage violent qui précède s'effectue en descente, même s'il subsiste toujours un mur face à la sortie, qu'il était totalement impossible d'enlever pour diverses raisons. Le tracé est donc relativement sûr, mais je n'y éprouve pas beaucoup de plaisir, étant donné que les faits marquants sont en réalité une grande ligne droite et trois chicanes... C'est un avis personnel, bien entendu, et mes préférences vont plutôt à tout ce qui n'est pas chicane: grandes courbes ou épingles, peu importe...

Les problèmes italiens de la M30...
Ils ont été très graves depuis le départ et concernent les freins. Il ne s'agit pas d'une pédale qui va loin ou d'un ralentissement insuffisant, non, mais d'ennuis plus conséquents: au bout de deux tours les disques se voilaient, ce qui entraînait d'énormes vibrations dans le train avant, dans les pédales et dans le volant, et rendait toute tentative d'attaque impossible. En plus, quand j'appuyais sur la pédale, c'était l'inconnue: un coup elle était dure avec de grosses vibrations, et un coup elle devenait toute molle et allait au plancher! Comme le circuit d'Imola est très exigeant sur les freins, c'était dramatique, mais nous avons fini, le samedi, par résoudre le problème à cinquante pour cent, ce qui n'est bien entendu pas encore l'idéal. Nous avons changé les disques pour des modèles un peu plus larges et les calipers étaient d'un type différent. Cela dit, nous avions déjà rencontré ces problèmes de freins en essais à Brands Hatch, entre la Hollande et l'Italie, et nous avons été incapables de les résoudre, si bien que je crains fort être encore handicapé à ce niveau à Montréal et au Glen, car, à cause des délais de transport, les voitures partiront là-bas presque tout de suite après l'Italie... Au plan tenue de route, nous avons essayé tout un tas de choses, changeant pratiquement tout ce qui était possible, et nous nous heurtons à un mur: le comportement ne varie pas! C'est paradoxal, et d'autant plus bizarre que, après une conversation avec Jacques Laffite, je me suis aperçu qu'il avait les mêmes problèmes que moi: pas de réaction aux réglages, avec, toujours, la même litanie, qui est celle du sousvirage en entrée, du survirage au milieu et du sousvirage ou du survirage en sortie. Dans une même courbe, j'ai donc toujours trois comportements différents de la voiture, ce qui est bien évidemment suffisamment grave pour empêcher toute tentative de bonne performance. En fait, je n'y comprends plus rien du tout: le gros défaut de la M29 était justement qu'elle ne réagissait pas aux réglages, alors que la M30, lors de ses premiers tours de roue, avait très bien réagi. Et, maintenant que nous l'avons améliorée un tout petit peu, il ne nous semble pas possible d'aller plus loin... Finalement, après réflexion, je me demande si elle n'est pas pire que la M29, et, dans ces conditions, je ne suis pas très optimiste pour les deux dernières courses!

Pourquoi je n'ai pas repris la M29 le samedi après-midi...
Lorsque, tout au début de la dernière séance chrono, mon embrayage a cassé, un handicap particulièrement grave sur ce circuit ou l'on effectue des rétrogradages 5/1 ou 4/1, j'ai bien évidemment pensé à prendre le mulet M29 pour mieux me qualifier. Je me suis donc installé dedans, mais j'ai vu que, d'une part, la position de conduite étant totalement différente il me faudrait un temps de réadaptation, et d'autre part, que les ressorts et les barres n'étaient pas très adaptés au tracé, sans compter que, les jantes de la M29 étant différentes de celles de la M30, nous n'en avions pas assez de disponibles! Je suis donc ressorti, pour reprendre ma M30, et j'ai couvert ma séance sans embrayage; j'étais totalement crevé, et, comme je ne réussissais pas à descendre sous les 1'38" - l'37"5, j'ai arrêté les frais à dix minutes de la fin...

La voiture idéale pour Imola...
D'abord, il faut qu'elle ait un bon freinage, donc qu'elle soit super-légère, comme c'est le cas, bien entendu, des Brabham et des Williams. Agileté, maniabilité, voilà quels sont les éléments qui font que, sur l'ensemble d'une course, et non sur un seul tour, ces voitures sont supérieures aux Renault dont les freins, en raison du poids sur la ligne de départ, ont beaucoup plus de travail. Bien entendu, à cause de l'alternance chicane serrées/bouts droits, il faut également un moteur qui ait beaucoup de couple, et c'est ce qui explique, à l'autre bout de l'échelle, les bonnes prestations des Renault et des Alfa, car leurs moteurs les tirent littéralement hors des courbes!

Un problème de pneus?
Il semblerait qu'à Imola, il y ait eu beaucoup de différences dans la qualité des pneus fournis aux écuries; par exemple, le samedi, Laffite ne m'a pris qu'un dixième alors que je n'avais pas d'embrayage, et il s'est retrouvé avec le vingt-deuxième temps en se plaignant d'un manque de grip. A l'inverse, un type comme Patrese s'est placé largement devant, et, à mon avis, ce n'était pas normal, eu égard aux qualités respectives habituelles de ces deux voitures, la Ligier et l'Arrows. C'est pourquoi je crois qu'il faut chercher une partie de l'explication du côté des pneus... Sur certains circuits, les Ligier avaient une seconde et demie d'avantage sur leurs rivales, et, là, elles avaient deux secondes de retard. A mon sens, et étant donné qu'elles ont donc intrinsèquement perdu trois secondes et demi, cela ne peut être le seul fait de la voiture, car, lorsqu'on est aussi mal, on trouve toujours quelque chose pour améliorer un tout petit peu. Et, là, ils n'ont rien trouvé!

Quelques révélations sur les transferts...
On a effectivement longtemps parlé de Ferrari à mon sujet, et tout ce que je puis dire, c'est que j'avais effectivement eu des contacts avec eux depuis le mois de mars dernier, par le biais d'un intermédiaire d'Enzo Ferrari qui venait me voir sur les circuits. Nos relations ont toujours été bonnes, nos discussions très positives, mais, malheureusement, cela ne s'est pas concrétisé, malgré mon désir de piloter pour eux. Aller chez Ferrari est en effet un investissement a long terme, et non un contrat d'une seule saison. Ils n'ont pas l'habitude de changer de pilotes comme de chemises! J'aurais vraiment voulu jouer la carte d'un grand constructeur, mais comme j'ai un contrat Marlboro chez McLaren et que ces deux firmes ont un grand projet commun dans l'air, en grande partie lié à moi, elles tenaient à me garder; j'ai bien entendu beaucoup insisté, mais, finalement, j'ai jugé qu'il était normal de prendre en considération la volonté de mon sponsor, car si j'ai réussi à accéder à la Formule 1 c'est grâce à lui! A priori, je resterais donc chez McLaren, bien que rien ne soit encore définitivement signé, et que j'ait eu plusieurs "touches" ailleurs...

Le projet McLaren International...
Il s'agit de la réunion de l'écurie McLaren actuelle, managée par Teddy Mayer, et du Project Four de Ron Dennis, ces deux équipes étant déjà sous contrat Marlboro. La seule nouveauté concernera le remplacement de Gordon Coppuck par l'ingénieur John Barnard, que je connais de réputation, et dont j'ai déjà vu le projet, destiné à remplacer la M30 et à courir en 1981. Au premier abord, je crois que ce devrait être une très bonne voiture, et elle sera alignée à deux exemplaires, le second pouvant par exemple être De Cesaris. Je n'ai personnellement rien contre lui, mais je préférerais avoir avec moi un pilote expérimenté, car je suis conscient d'avoir encore beaucoup à apprendre, et si on veut faire quelque chose de bien l'expérience est une chose indispensable, à mon avis, du moins. En fait, la nouvelle voiture est assez avancée, et elle sera prête largement avant le début de la saison prochaine, puisque les premiers tests de roulage sont programmés pour la fin novembre. Le point crucial concerne les jupes, car Teddy Mayer est persuadé que nous courrons avec la saison prochaine, alors que je crois fermement le contraire, mais, de toutes façons, Barnard a déjà dessiné des voitures avec ou sans jupes en Amérique et cela ne devrait donc pas lui causer trop de problèmes de dernière minute en cas d'urgence!

La saison actuelle tire à sa fin...
Eh oui, soyons francs, j'attends impatiemment le dernier Grand Prix, mais pour une seule raison, qui est notre manque de compétitivité, lequel nous rend les choses difficiles et moralement néfastes. En plus nous savons maintenant que la nouvelle voiture n'est pas ce que nous espérions, et il m'est peu agréable, après avoir effectué un bon début de saison, suivi d'un milieu de saison correct, de me retrouver si loin du compte pour la fin du parcours, qui est la plus importante pour le moral en vue de l'année prochaine! En fait, n'en déduisez pas que j'ai des projets de vacances bien précis, puisque, comme je viens de vous le dire, les essais de la "McLaren-Barnard" devraient commencer dans assez peu de temps. Mais j'essayerai néanmoins de me reposer le plus possible, car en ce moment, croyez-moi, "c'est un peu dur"!!!

Alain Prost


A l'heure où Alain Prost a écrit cette chronique, jeudi dernier (18.09.1980), une nouvelle possibilité s'est présentée à lui pour la saison 1981, consécutive au départ de Jean-Pierre Jabouille de chez Renault. Gérard Larrousse semble en effet envisager favorablement un éventuel transfert d'Alain, qui aimerait bien pour sa part piloter "français". La seule inconnue concerne donc pour l'instant la suite, favorable ou non, que donnera Marlboro à cette affaire…



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