AUTO HEBDO, 01.12.1999

ALAIN PROST ET L'AN 2000
"Nous tenons le bon bout"



PATRICK CAMUS

Après la triste expérience de la AP01 et celle, plus probante mais guère récompensée de la AP02, les Bleus ont jeté toutes leurs forces dans le projet AP03. Prost en parle dès maintenant avec un brin d'optimisme. Reste à gérer l'ingérable, lié au futur officiellement encore incertain du couple Prost-Peugeot…

Comment le cacher? La saison 99 de Prost ne s'est pas achevée comme son patron l'avait souhaité. Des performances certes, mais aux essais, et trop de courses gâchées par une mécanique indomptée. "Notre objectif était de nous battre régulièrement contre les équipes situées derrière les "intouchables" McLaren et Ferrari", admet le boss. "Nous avions également placé Jordan un peu devant nous, bien que nous ne la pensions pas aussi performante qu'elle le fut. Puis, suivait le groupe Williams, Benetton, Sauber, Stewart - là aussi une belle surprise - dans lequel nous devions nous trouver le plus régulièrement possible. Bon, nous avions misé sur une cinquième, sixième place au championnat des constructeurs. Notre septième place nous déçoit donc un peu, c'est sûr. Nous aurions dû débuter 99 comme nous l'avons terminée."

Comment expliquer cet écart?
Nous n'avons pas pu compter sur ce que notre cahier des charges avait prévu. Il faut se rendre compte que, pour beaucoup, une course est aujourd'hui conditionnée par le départ, et qu'il suffit de très peu pour glisser de la troisième à la sixième ligne d'une grille. Quelques dixièmes de seconde. Ceux, par exemple, que peut apporter un moteur spécial qualifications. Nous l'avons eu pour les dernières épreuves et son apport fut flagrant. Notons aussi un podium raté en Australie, quelques points perdus ensuite à cause d'une fiabilité douteuse... Ce qui m'a davantage déçu fut l'image qu'a parfois donnée notre manque de résultats. Elle est sans commune mesure avec la réalité des choses et du potentiel de notre entreprise aujourd'hui.

Vous nous disiez, l'hiver dernier, attendre beaucoup de la AP02.. A-t-elle rempli son contrat?
Avec le recul je n'ai pas à être mécontent d'elle car l'analyse globale de notre saison 99 doit tenir compte d'un fait incontournable: nous venions de très loin avec la AP01. Qui ne fut pas une bonne voiture, car conçue dans des circonstances très difficiles, sans références, sans bases solides, avec des structures inadaptées. le manque de temps, de moyens et d'expérience dans notre manière d'aborder le nouveau règlement technique nous avait également perturbés. Pour la AP02, tout en manquant encore de précision et malgré des structures encore perfectibles, nous savions dans quelle direction aller. Bien que, là aussi, il ait fallu composer avec un autre élément déterminant: il est pratiquement injouable de changer de concept technique d'une année sur l'autre. Notre machine 99 fut donc une évolution de la précédente. Une voiture qui, honnêtement, fut celle que l'on pensait avoir. Tout n'a pas été parfait, loin de là. Sur certains circuits la AP02 n'était pas une voiture facile à régler et manquait d'efficacité. Sur d'autres, les tracés rapides en particulier, elle ne posait aucun problème et exploitait bien son potentiel. Les résultats de 99 furent néanmoins sans commune mesure avec ceux de 98, bien qu'il ait été difficile pour les gens de l'extérieur de percevoir la différence et la teneur des progrès accomplis dans la mesure où les résultats ne le montraient pas. Pour nous, par contre, cette différence a été fondamentale, et l'expérience accumulée également.

Après ces deux saisons de souffrance, peut-on parler de nouvelle philosophie en ce qui concerne la AP03?
Oui, sensiblement. Je ne parle pas forcément de philosophie technique mais de philosophie générale, allant de la façon de concevoir diverses pièces à la manière de résoudre certains problèmes d'exploitation ou de réglages. Désormais, grâce à la AP02, nous savons quelles solutions apporter à chacun de nos problèmes et grâce à cette saison 99 nous avons cerné nos faiblesses en châssis, en aérodynamique, en exploitation, et nos l lacunes sur le plan des structures. Je crois, non, j'affirme que notre programme 2000 a été construit sur une base totalement différente!

Côté fiabilité, la AP02 ne s'en est pas trop mal sortie...
Pour ce qui nous concerne je retiens essentiellement un ou deux gros ennuis de boîte. Le jour et la nuit par rapport à 98!

Plus quelques soucis de freins, notamment en Malaisie où Panis, lors des essais, cassa simultanément ses deux disques avant...
Oui, curieuse affaire. Après enquête nous avons appris que ce genre de pépin était survenu une fois à McLaren et une autre fois à Ferrari. Le genre de choses qui nous échappe et que nous ne comprenons encore pas dans la mesure où ces freins n'avaient strictement rien de spécial, si ce n'étaient des vis de fixation en titane.

A contrario, on a pu noter au moins cinq incidents directement ou indirectement liés au moteur. Peugeot se serait-il laissé embarquer dans une course échevelée à la puissance?
... Pour être sincère il m'est très difficile, comme pour tout patron qui parle de son partenaire-motoriste, d'évoquer les difficultés qu'a pu rencontrer Peugeot. Je peux néanmoins remarquer que nous avions terminé la saison 98 à un niveau de performances intéressant mais avec quelques soucis de fiabilité. De là il y a eu retour en arrière pour améliorer cette fiabilité. Nous nous sommes alors retrouvés début 99 avec un moteur fiable mais moins performant que le précédent. Il a donc fallu cravacher pour retrouver le bon niveau. Ce qui a été fait lors des dernières épreuves, mais là encore au prix de quelques casses. L'équilibre est évidemment dur à situer, surtout lorsque, là aussi, il faut partir de loin et tenter de rattraper une concurrence qui n'arrête jamais d'avancer.

Le règlement technique, de par ses interdits chaque année plus nombreux, peut-il encore permettre à un châssis de compenser certaines lacunes d'un moteur?
Disons que notre cahier des charges cherche à compenser d'une manière ou d'une autre certaines de ses caractéristiques comme le poids, l'encombrement, l'utilisation... De la même façon que d'autres équipes peuvent exploiter un cahier des charges visant à tirer profit des caractéristiques de leur propre moteur. Une F1 est un ensemble indissociable. Si l'on parvient à respecter tout ce que prévoit notre cahier des charges AP03, je crois que nos performances commenceront à être vraiment "intéressantes"! Et moi, ne passe pas pour un optimiste maladif, je peux vous assurer que ce que nous mettons actuellement "sur roues" est bien, vraiment très bien..

Peut-on, pour résumer, parler de torts partagés entre Prost GP et Peugeot au sujet du bilan 99?
Mécanique, aérodynamique stratégies de course, pilotage, mise au point... Les torts sont toujours partagés dans une équipe de F1. On peut aussi regretter de ne pas avoir mieux travaillé sur le moteur, de ne pas avoir mieux communiqué... on peut tout dire! Je ne crois pas non plus que l'osmose entre Peugeot et Prost GP se soit construite de manière suffisamment rapide et étroite pour pouvoir concrétiser. Je compte d'ailleurs beaucoup sur cette intersaison pour atteindre un niveau de performances capable de créer cette osmose dont toute équipe a besoin, et qui nous évitera justement de parler de torts partagés. A chacun de prendre ses responsabilités.

Durant l'été, le dirigeant de Peugeot Sport a publiquement déclaré qu'il était urgent d'attendre quant à la suite à donner au programme F1. Je suppose que vous connaissez cette suite, ou alors c'est à ne plus rien comprendre de la gestion d'une entreprise ni de la F1, de ses programmes à long terme et de ses relations écuries-motoristes que chacun qualifie de "respectueuses"!
Mouais... Oui... Enfin, non, je ne sais pas... pas encore. Dans le pire des cas j'en saurai plus en janvier ou février prochain. Ce sera tard mais nous ne pouvons faire autrement. Bon, on verra...

Cette année 2000 qui se profile et ses résultats seront-ils moins ou plus "capitaux" que les précédents pour l'avenir de Prost GP et du couple Prost-Peugeot?
Il n'y a pas de saison "gratuite" en F1, toutes comptent. 2000 sera donc importante, pas plus que celle qui l'a précédée et pas moins que celle qui suivra. L'avenir est curieux dans ce sport. Il est à la fois entre nos mains sans nous appartenir vraiment. Tout n'est pas suspendu qu'aux résultats ou aux propres ambitions des écuries mais aussi aux décisions et aux perspectives que se fixent les partenaires de ces écuries. Pour l'instant elles ne sont que cinq ou six sur onze à être vraiment certaines de leur lendemain après 2000. Même Jordan et Benetton appartiennent à ce clan. Et Prost GP n'est ni plus mal ni mieux loti que les autres. Je pense néanmoins que nos atouts jouent en notre faveur. Il nous revient de les faire fructifier. Notre côté "anglais", de par nos structures, et international, de par notre image et notre vocation, a été un inconvénient jusque-là, je pense qu'à terme il représentera un avantage vis-à-vis des grands constructeurs qui investissent ou investiront en F1. S'il y a des choix à faire entre plusieurs équipes sans moteur, je pense que nous ne sommes pas mal placés…

Comment gérer cette incertitude? S'il y a incertitude!
En assumant mes responsabilités de chef d'entreprise et de patron d'écurie. C'est-à-dire en faisant tout pour obtenir les meilleurs résultats possibles et pour pérenniser ma société.

Donc en cherchant ailleurs, au cas où?
Indispensable. Je suis plusieurs pistes. Pas nombreuses, certes, mais multiples. J'estime d'ores et déjà l'une d'entre elles comme étant la meilleure pour mon équipe... Difficile d'en dire davantage pour l'instant.

Prost GP vient de signer un accord de collaboration technique avec McLaren. Avec l'engagement de Heidfeld et les excellentes relations que vous entretenez avec Ron Dennis, Norbert Haug et Mansour Ojjeh, faut-il y voir la nouvelle étape d'un processus qui amènera tôt ou tard le V10 Mercedes à Guyancourt?
Première remarque, il ne s'agit pas de l'équipe McLaren mais de McLaren Composites, une société satellite qui sous-traite n'importe quel travail pour qui le lui demande et la paie et dont la compétence est évidente. Ce que nous faisions auprès d'autres collaborations externes dont nous n'étions pas toujours très satisfaits. Seconde remarque: il ne s'agit que de pièces mineures. Vous pouvez éventuellement extrapoler d'autres choses, ailleurs, plus tard, mais en tout cas aucun lien avec un éventuel motoriste à travers cet accord! Qui est temporaire car notre objectif reste d'intégrer à nos structures la totalité de la fabrication d'une F1.

Que représente la petite prise de participation du puissant groupe LVMH dans Prost GP? De l'argent? De la crédibilité? De l'image?
Lui et elle ont donné naissance à une société commune, distincte de l'écurie, et à un vrai projet commercial et industriel qui géreront l'ensemble du merchandising lié au nom et à l'image Prost. La participation de LVMH au sein de Prost GP a davantage un but de cohérence du système. Cela lui apporte évidemment du crédit, une image, une aide, un accompagnement... Si ce duo devenait trio avec l'arrivée d'un vrai partenaire/constructeur, ce serait évidemment l'idéal.

Désolé d'insister mais LVMH a récemment racheté Tag-Heuer, une firme du groupe Tag, comme McLaren, qui appartient également pour partie à Mercedes... On tourne un peu en rond, non?
Pure coïncidence. LVMH voulait s'investir dans un sport mondialement connu, "porteur", dynamique et auprès d'un nom. La F1 et Prost ont été son choix. Sans plus.

Norbert Haug nous a dit un jour que Mercedes ne verrait aucun inconvénient à motoriser une seconde écurie. Selon lui c'est à Ron Dennis de donner son accord. Serait-il prêt à le faire un jour?
Difficile de répondre à sa place. Et encore plus de lui en vouloir de défendre ses intérêts!

Ce moteur Mercedes F1 dont chaque patron rêve serait disponible moyennant finances; quelle serait votre réaction?
A partir du moment où vous payez un moteur, quel qu'il soit, vous ne pouvez plus prétendre gagner. Je ne veux donc pas payer. A moins qu'il ne s'agisse d'une situation exceptionnelle, intérimaire.

Prost GP dispose-t-elle aujourd'hui des structures et de l'homogénéité qui lui firent défaut? Chacun a-t-il trouvé sa place?
Je pense que les derniers six mois nous ont permis de construire une équipe technique solide, compétente et complémentaire. Avec des rôles redistribués et un trio de choc Jenkins-Barnard-Bigois qui, sans prétention, représente une force que bien des écuries nous envient! Bien sûr, tout cela a réclamé du temps mais je suis persuadé que nous tenons le bon bout. Techniquement et sportivement. Et même humainement car je peux vous assurer d'une chose: l'ambiance de l'équipe autour de ce projet AP03 est remarquable.

Alan Jenkins paraît effectivement homme tranquille, avec lequel il est facile de travailler...
Eh bien, justement non! Et même pas facile du tout! Mais ce n'est pas grave, ça nous fait du bien d'avoir un homme à poigne, qui sait ce qu'il veut et qui n'hésite pas à taper du poing sur la table. Grâce à cette force de caractère il a réussi à créer autour de lui une atmosphère plaisante et une équipe motivée comme je l'ai rarement vue, c'est là l'important.

Le programme technique 2000 est-il dans les temps?
Nous le sommes pour ce qui est du châssis A quelques jours près comme c'est toujours le cas lors de l'arrivée d'une nouvelle machine. Malgré un léger retard en début de projet, la boîte devrait débuter son roulage vers la mi-décembre et la AP03, équipée du nouveau moteur, le sien aux environs du 20 janvier.

Je suppose que les espoirs placés sur le tandem Alesi-Heidfeld sont énormes!
Evidemment, tout en se disant qu'ils ne sont que des acteurs placés en bout de chaîne. Les espoirs reposent à parts égales sur le motoriste, les ingénieurs du châssis, ceux de l'aérodynamique, de l'exploitation. On ne peut dissocier personne puisque le potentiel d'une monoplace est le résultat d'un travail d'ensemble. Sinon oui, nos pilotes 2000 sont complémentaires, avec une personnalité, un pilotage et une approche technique apparemment différentes. Leur enthousiasme apportera certainement à l'équipe un regain de motivation et de performances.

Alors, cette F1 côté patron, est-elle vraiment un challenge aussi facile que celui imaginé il y a quelques années?
Désormais placé de l'autre côté de la barrière, je reconnais qu'elle est une discipline "diabolique", autrement plus ardue qu'on peut le supposer. Alors je sais, chaque année, nous répétons que les choses vont aller mieux, que nous allons frapper fort, mais il faut être réaliste et voir ces choses telles qu'elles sont. De l'intérieur et de l'extérieur, surtout de l'extérieur.

Sur un plan plus général, la F1 n'a-t-elle pas tendance parfois à se laisser piéger par ses intérêts? Allusion à l'affaire Ferrari du GP de Malaisie et de Malaisie et de ses suites.
D'une manière ou d'une autre, soit dans le fond soit dans la manière, ce qui s'est passé là-bas fut effectivement inadmissible. D'autant plus inacceptable que l'attribution des titres mondiaux en dépendait. Bien que j'aie suivi cette affaire comme un spectateur, sans pouvoir juger de la vraie teneur du vrai problème. Je veux quand même croire que ce fut honnête jusqu'au bout. La technologie est devenue de plus en plus pointue, l'application et l'interprétation des règlements aussi, dans la lettre autant que dans l'esprit. Il faudra donc accepter ce genre d'incident de parcours. A condition qu'il ne se répète pas trop souvent. L'idéal serait que la Fia ait profité de cette expérience pour se mettre à l'abri d'une répétition!




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