ECHAPPEMENT, 01.02.1977

INTERVIEW ALAIN PROST - REVELATION 76



Que retiens-tu de ton expérience en Formule Renault Europe?
Ça m'a paru facile, surtout aux essais. J'étais surpris de faire immédiatement de très bons temps.

Comment as-tu réagi en te retrouvant dans les roues de Pironi?
Sans mon problème de moteur, je l'aurais passé avant la fin de la course. Il allait vite en ligne droite, avec une voiture réglée sans appui, mais, j'étais mieux que lui dans les courbes. Je me suis vraiment défoncé pour revenir dans ses roues. En partant avec lui j'aurais gagné.

Pourquoi n'as-tu pas continué en SFR?
Pour ne pas servir d'otage dans des négociations entre Danielson et Elf...

Une fois ton titre acquis, n'as-tu pas connu l'ennui en Formule Renault?
Un peu, j'aurais aimé continuer en Renault Europe. Je languissais de grimper à l'échelon supérieur. Je me suis passionné alors pour les réglages de ma voiture. Le titre assuré, j'ai pu tester quelques solutions nouvelles dans les réglages. Histoire de prendre un peu d'avance pour l'année prochaine...

N'as-tu pas été trop déçu de ne pas gagner la dernière course à Imola?
Si. Pour la première fois de la saison, j'ai eu un problème mécanique. Très rare d'ailleurs: de l'huile dons l'allumeur. Dans une bande dessinée de Michel Vaillant on interprétait cela comme du sabotage... Mais, j'ai été beaucoup plus déçu par l'ambiance en fin de saison. Ce n'était plus très net en Formule Renault sur la fin. On a déposé une réclamation (anonyme) contre moi. Mon moteur a été plombé et vérifié. Il avait déjà été vérifié 12 fois auparavant... Cela dit, je pense que ma série de victoires a du agacer quelques pilotes qui de ce fait n'ont pu faire la démonstration de leur talent. Mais, je n'y peux rien. J'aurais dû gagner aussi à Imola. Aux essais, je tournais avec près de 2 secondes d'avance. Ce devait même être une victoire facile.

Comment situes-tu ton avantage par rapport à tes adversaires?
J'ai souvent essayé de comprendre pourquoi j'étais devant, sans jamais pouvoir vraiment le justifier. Il aurait fallu que je suis plus souvent au milieu du peloton pour comprendre. Mais cela ne m'est arrivé que deux fois. Une fois à Rouen où je me suis retrouvé derrière Le Strat: il conduisait bien. Je me suis concentré et en m'appliquant à ne faire aucune faute, je suis revenu sur lui et je l'ai doublé. I'ai conclu ce jour là que les autres devaient être moins réguliers sur l'ensemble d'une course. Je crois que je suis régulier. j'aligne tous mes tours à quelques dixièmes près. Ça c'est peut-être la raison technique. Il y a aussi le fait que durant la saison, je n'ai jamais connu le moindre problème mécanique. La confiance dans la mécanique peut quelquefois transcender un pilote.

As-tu souvent attaqué pour gagner?
Non, je n'ai jamais piloté d la limite, sauf à Dijon en SFR où je me suis défoncé avec Pironi et un tout petit peu à Rouen. Ailleurs c'était facile.

Que penses-tu du niveau de la Formule Renault?
Difficile de le dire, ce n'est pas à moi de juger. En tout cas. je ne crois pas qu'il était aussi bas qu'on l'a dit. Il n'était peut-être pas très équilibré, c'est vrai. Mais, c'est normal, débutants et chevronnés s'y rencontrent avec du matériel plus ou moins compétitif.

Que manquait-il aux autres pour parvenir à te battre?
Je crois qu'ils ont surtout manqué d'une mentalité de pilote. Si je m'étais fait allumer aux 2 premières courses, ou même à la première j'aurais réagi. Un pilote, ce n'est pas seulement un singe adroit, c'est aussi un type qui en veut, qui sait souffrir, se forcer, travailler.

Parmi tes adversaires de Formule Renault, lesquels t'ont paru les plus doués?
J'ai pas vu beaucoup de débutants se hisser parmi les hommes de tête. Sauf, Lavergne et Alliot. Alliot sortait tout le temps, quant à Lavergne, c'est sûrement celui qui ira le plus loin. Mais le plus dangereux, le seul que je craignais, était Le Strat. Je m'attendais à ce qu'il gagne une ou deux courses. Il a fait une très grande course à Rouen. Il a mené durant 4 tours devant moi, j'ai pu apprécier. Il faisait très peu de fautes. Raulet aussi était très bon.

Quels sont les principaux problèmes que tu as rencontrés dans la conduite d'une Formule Renault?
Peu, à vrai dire. En F.R., on ne peut pas faire grand chose sur la voiture. On peut juste jouer sur les barres et les ressorts pour régler la tenue de route, et un peu sur l'appui. Ce n'est pas plus mal, ça évite l'escalade.

Tous les nouveaux promus des Ecoles de pilotage viennent du kart, est-ce une coïncidence?
Non. Cela s'explique facilement. On peut faire du kart, très jeune. Cela apprend plus que de faire de la R5 ou tout autre Formule de promotion sur berline. Quand un gars du kart se présente dans une école de pilotage, il a déjà un bon sens de l'équilibre, de la dérive, du freinage. Il a appris à être super précis, à raser les bottes de paille au millimètre, il a appris à accélérer tôt, à passer les chevaux et pour cela, il faut glisser un peu... mais pas trop, et sentir l'instant où la dérive se fuit au détriment de la motricité. Il a appris à attaquer surtout!

As-tu conscience quelquefois de faire un sport dangereux?
Je n'y pense jamais. Ce n'est pas plus dangereux qu'autre chose. Si tu dois avoir un accident, tu peux aussi bien l'avoir en descendant un escalier ou en prenant one cheminée sur la tête par un jour de grand vent...

As-tu gagné de l'argent grâce à la course?
J'en ai gagné beaucoup et j'en ai dépensé beaucoup, j'ai donc bien vécu!

Comment vois-tu la suite de ta carrière?
A court terme, la Super Formule Renault avec Elf et quelques courses de Formule 2 en fin de saison, pour me faire la main... A long terme, il faudra attendre justement la fin de la saison prochaine pour savoir si j'ai confirmé ma saison 76 ou pas... Mon but est la Formule 1. J'aimerais d'ailleurs y arriver le plus tôt possible, la jeunesse est sûrement un bon atout dans cette Formule.

As-tu d'autres propositions?
Oui, en F3 et F2 dans des écuries étrangères. Ça ne m'intéresse pas. A long terme l'avenir est plus dégagé avec Elf. J'avoue que la Fl Renault ou Martini me plairait bien. Mais, c'est peut-être un peu présomptueux et prématuré d'y penser, d'autant, qu'il me semble que les pilotes postulants ne sont pas des manchots...

Et Arnoux?
On se connaît peu. C'est un très grand pilote. Celui, en tout cas, que j'admire le plus en France: il devrait être en Fl. Je pense qu'il doit être plus gêné que moi de toutes ces comparaisons avec lui cette saison. Il sera intéressant d'en reparler quand nous serons face à face, ou côte à côte...

Quelle carrière de pilote aimerais-tu imiter?
Je vais être banal en répondant: Stewart.

Comment étais-tu organisé cette année?
Je m'occupais de tout avec mon mécanicien. En 1977, j'espère avoir un mécanicien de plus. Si j'avais un gros budget, je m'offrirais un "manager" afin d'être délivré de tout souci autre que piloter et régler l'auto.

Qu'est-ce qui t'a surpris, en bien et en mal, dans la course automobile?
Je m'attendais à plus de difficultés. Une monoplace n'est pas plus dure à conduire qu'un kart. Plus difficile à régler seulement. Le niveau de pilotage en monoplace n'est pas plus élevé que celui qu'on trouve en championnat de monde en kart. Ou aussi élevé, comme tu préfères. On m'avait dit: tu verras, en circuit il n'y a pas une bonne ambiance: de ce côté j'ai été heureusement surpris de trouver au contraire une ambiance plutôt bonne, en tout cas en Formule Renault. Peut-être est-ce parce que je venais du kart qui est un milieu pourri?

Où et comment vis-tu?
A Saint-Chamond dans la Loire. Mes parents ont un commerce de meubles. Je vis chez eux. Je fais beaucoup de sport, j'essaye de dormir 10 heures par nuit, je ne fume et je ne bois jamais.

Jean Lerust



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