SPORT365.FR, 09.10.2008

Alain Prost: « A quitte ou double »


Interview: Eric CAMACHO

S’il a été impressionné par la performance d’Alonso à Singapour, Alain Prost a également apprécié la patience d’Hamilton. Pour le quadruple champion du monde, le championnat peut quasiment se jouer au Japon.

Alain, comment avez-vous trouvé ce Grand Prix de Singapour, premier Grand Prix de l’histoire en nocturne?
Cela faisait longtemps qu’un nouveau Grand Prix ne nous avait pas amené quelque chose de justement original. Ce n’est pas banal de réaliser une course de nuit. Les spectateurs ont répondu présent. On ne peut faire ce type de Grand Prix que dans des pays comme celui-là. Il y a une raison logique en termes de retransmission télévisée mais aussi parce que cela coûte très cher. Il y a un faste et beaucoup d’argent derrière. Malheureusement pour nous, Européens, il n’y a que dans ces pays-là que l’on peut le faire aujourd’hui. Autant Valence n’avait pas été la réussite que l’on nous avait annoncée pour des raisons logistiques, environnementales et sportives, autant Singapour a été un vrai succès.

D’un point de vue purement comptable, McLaren et Hamilton sont les grands vainqueurs de ce Grand Prix…
Ils ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Sur le plan des règlements sportifs, c’était le coup de poker. Cela n’enlève rien aux performances d’Hamilton sur McLaren et Alonso sur Renault qui ont bénéficié de circonstances extrêmement favorables. Mais Lewis (Hamilton) a su gérer une course qui était extrêmement compliquée.

Hamilton a fait la preuve qu’il avait appris de ses erreurs passées. Il a semblé plus mâture et plus prudent. C’est une course où il aurait peut-être commis des erreurs l’an dernier…
Il a vraiment une approche différente de son championnat cette année. On l’a vu, surtout depuis le milieu de la saison, être attaquant quant il le faut mais également être calculateur de temps à autre et assurer une deuxième ou une troisième place. Il joue vraiment le titre avant les victoires. C’est, à mon avis, la bonne méthode pour gagner le premier titre. Il aura ensuite moins de pression sur ses épaules.

Comment expliquez-vous la mauvaise gestion de course de Ferrari alors que la Scuderia semblait promise au doublé?
C’est très difficile à expliquer. C’est ce que j’appelle l’empirisme de la Formule 1. Quand tout va bien, on veut toujours faire encore mieux. Il y a des endroits où il faut progresser et d’autres où c’est plus compliqué. L’erreur est humaine. Cette technologie du panneau électrique fait prendre des risques insensés. C’est la deuxième fois cette saison que Ferrari a un problème avec ce système.

C’est une erreur de plus, de trop peut-être, dans une saison déjà ponctuée de problèmes logistiques récurrents…
Sincèrement, je ne comprends pas comment on peut éventuellement perdre un championnat de cette manière-là quand on s’appelle Ferrari. C’est vrai que l’organisation a changé, que celui qui s’occupait de ce genre de choses – Ross Brawn – est parti. Depuis son départ, on a tout de même l’impression qu’au niveau stratégie, organisation dans les stands, c’est peut-être un peu moins rationnel. Il y a une mauvaise passe anormale pour une équipe de ce prestige.

Comment Ferrari doit-elle maintenant gérer sa fin de saison tactiquement?
C’est paradoxalement dans cette situation que le chasseur, le poursuivant a une position plus confortable. C’est loin d’être perdu. On en a un exemple récent avec la fin de saison dernière. Raïkkonen, distancé au classement, va faire ce qu’on lui demande de faire et aider son coéquipier. Je pense d’ailleurs que Massa mérite autant le titre qu’Hamilton cette année. Contrairement à ce que beaucoup pensent, il a fait une superbe saison. Les Ferrari vont pouvoir attaquer et essayer de placer une fois ou deux les deux voitures aux deux premières places. C’est d’ailleurs ce qu’ils auraient pu faire à Singapour.

L’autre vainqueur de ce Grand Prix de Singapour, c’est Fernando Alonso. Cette victoire amorce également le retour au premier plan de l’écurie Renault après deux ans de disette…
Elle revient au premier plan au niveau du résultat. Sur le plan de la performance, c’est vrai qu’Alonso a été relativement présent pendant tout le week-end. Mieux que ce qu’on attendait des Renault. Ce sont des circuits spécifiques où le pilote peut faire la différence de manière plus importante. Sans le concours de circonstances des ravitaillements et de la voiture de sécurité, Renault n’aurait pas gagné le Grand Prix. Il faut donc relativiser. Mais c’est une équipe nouvelle qui gagne cette année et c’est bon pour la F1. Je suis assez fan d’Alonso car je trouve qu’il a fait une saison remarquable. Il s’est bien comporté par rapport à son équipe. C’est vrai qu’il ne pouvait pas faire différemment par rapport à ce qu’il a vécu l’an passé chez McLaren. Mais c’est de bon augure s’il reste chez Renault.

Fernando Alonso n’a jamais critiqué sa R28 et a toujours cherché à en tirer le meilleur…
L’an passé, il s’était plaint un peu de sa voiture mais surtout de son coéquipier, de son équipe et de l’ambiance générale. Ce que je peux comprendre. Cette année, il a toujours été réaliste par rapport aux objectifs qu’il pouvait atteindre. Il a indirectement beaucoup aidé Renault. Maintenant, il faut passer le cap et reconstruire une bonne voiture pour l’année prochaine.

L’an passé, Lewis Hamilton avait dominé ses adversaires sur le circuit du Mont-Fuji et sous la pluie. Comment voyez-vous ce Grand Prix du Japon?
Le circuit du Mont-Fuji, et c’est d’ailleurs là l’intérêt des fins de championnat, est un beau circuit. Au Japon, il y a des risques d’intempéries. C’est assez rare, à cette époque de l’année, de ne pas avoir un peu de pluie. Dans ces conditions, Hamilton et McLaren sont plutôt favoris. Mais n’oublions pas qu’ils vont devoir gérer une pression différente. Ils peuvent aussi se permettre d’assurer un peu. Sauf qu’assurer sous la pluie, dans des conditions difficiles, ce n’est pas toujours le bon équilibre. Ils vont également avoir de l’autre côté des Ferrari gonflées à bloc et qui vont jouer le tout pour le tout. Le championnat peut pratiquement se jouer au Japon même si, mathématiquement, rien ne sera perdu. Cela peut être une course à quitte ou double.

Quel est votre pronostic?
C’est encore une fois très difficile. On a été très surpris ces derniers temps. On a vu les Ferrari et Massa être très bien à des endroits où on ne les attendait pas, notamment sur des circuits sinueux comme Budapest, Valence ou à Singapour, même si cela ne s’est pas soldé par une victoire. Je donnerais une petite tendance favorable à Hamilton et McLaren. Mais il y a eu tellement d’aléas sur l’ensemble du championnat qu’on ne peut pas savoir ce qu’il va se passer.

Un dernier mot sur le projet du futur Grand Prix de France. Bernie Ecclestone a donné un avis favorable au projet que vous défendez…
Nous rentrons dans la période finale même si cela peut prendre plus de temps. Bernie Ecclestone a exprimé son souhait de voir un Grand Prix à Disney pour des raisons que l’on peut comprendre: l’accès, les hôtels, le train, l’autoroute et l’avion à proximité. On peut vraiment organiser un superbe événement. Je porte personnellement ce dossier. J’espère qu’il aboutira. Ce serait un événement fantastique. Il ne faut pas oublier les autres projets qui sont à plus long terme. Nous avons rendez-vous avec tous les élus des communes avoisinantes à Disney pour leur démontrer que c’est un projet fabuleux pour la France et la région et qu’il n’y aura pas trop de nuisances.

Vous avez également envoyé une lettre aux maires des communes concernées pour leur présenter un circuit non permanent…
Le projet reposait au début sur un circuit permanent uniquement réservé à la F1 pendant trois jours et sans compétitions ou essais de voitures bruyantes pendant l’année. C’est aussi aux maires des communes de se prononcer. En cas de refus d’un circuit permanent, nous avons un projet qui utilisera une partie des voies publiques et une partie fixe.



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