VSD, 29.03.1997

"Je veux un esprit et une équipe de vainqueurs"


Alain Prost rayonne dans ses habits neufs de patron d'écurie. A 42 ans, il revit dans les stands les émotions fortes qu'il a connues au volant.

A la veille du Grand Prix du Brésil sur le circuit d'Interlagos, à Sao Paulo, Alain Prost a accepté de faire le point sur le formidable défi qu'il vient de relever à la tête de son équipe, Prost GP. Le rôle des politiques, ses espoirs à l'aube d'une première saison, le niveau actuel de ses voitures, ses modèles es ses exigences, la méthode du patron Prost et ses premières émotions, le recordman des victoires en grand prix n'élude rien.

La création de votre équipe semble devoir beaucoup au soutien de certains hommes politiques. Quel rôle ont-ils joué?
Jacques Toubon, un vrai passionné de F1, et Guy Drut ont soutenu le projet. La première fois que j'ai rencontré, à sa demande, le ministre des Sports, l'idée était déjà dans l'air. A l'époque, j'étais chez McLaren. Cela m'intéressait mais sous certaines conditions. Tout a démarré doucement jusqu'à ce que je m'investisse personnellement. Car la politique ne peut pas faire plus que d'aider moralement une telle entreprise. L'important est qu'ils aient montré de l'intérêt pour mon entreprise. Il en allait du prestige et du rayonnement de certaines entreprises françaises à l'étranger, sans se limiter à un projet franco-français, ce qui est un concept réducteur.

Après Ligier, catalogué de gauche, certains qualifient Prost GP d'équipe de droite...
On constatera vite que mon projet n'a rien à voir avec ce que fut Ligier à une certaine époque. J'ai toujours dit justement que je ne voulais pas de ce genre de confusion. J'aurais probablement abouti plus tôt en cédant à ce type de schéma. Mais, si on tombe dans ce piège, on ne s'en sort plus.

Même si 1997 apparaît comme une saison de transition, n'avez-vous pas envie de prouver quelque chose?
Sincèrement, je ne me suis pas encore fixé d'objectifs précis. Avec les nouveaux pneus Bridgestone et les développements réalisés par Mugen-Honda, nous savons que la voiture a progressé. Elle a été rapide et agile lors des essais de février à Barcelone et surtout à Magny-Cours. A Melbourne, nous avons pu vérifier une fois de plus que les essais sont une chose et que la course en est une autre. Malgré tout, rentrer dans les points, en finissant cinquième, constitue un encouragement. Je reste prudent. Mon objectif se situe au niveau de la saison, et non à celui des premières courses.

Sur quels critères apprécierez-vous la saison qui démarre?
A son terme, je serai content si nous avons progressé non seulement dans les résultats, mais aussi dans la manière de travailler avec les pilotes comme avec nos partenaires techniques. Si, par bonheur, nous gagnions un grand prix, ce serait fantastique. Cela n'est pas impossible.

Comment jugez-vous vos pilotes?
Ils sont différents. Olivier Panis possède une certaine expérience. Il est très fort et très motivé. Shinji Nakano débute et ne connaît aucun des circuits. Ce sera difficile pour lui, mais je suis relativement confiant. Il commet peut d'erreurs et il a déjà manifesté des qualités indéniables de vélocité.

Mugen-Honda vous quittera à la fin de la saison. Comment appréhendez-vous cette situation?
Acheter des moteurs à un fournisseur, c'est-à-dire en être le client, aussi bon soit-il, n'a rien à voir avec l'apport que constitue un motoriste officiel. L'ambiance et la motivation au sein de l'équipe sont très différentes. Tout le monde travaille dans la même direction. Je n'ai jamais vu une équipe compétitive payer ses moteurs. La participation totale d'un motoriste était un préalable capital. A un moment donné, celui-ci pouvait même être Honda. Mais la participation d'un grand constructeur français comme Peugeot était prioritaire et essentielle. Je serai bien sûr malheureux quand Honda nous quittera. Chaque motoriste choisit l'équipe avec laquelle il a envie de travailler. Il y en a qui décident de tout arrêter alors qu'ils sont champions du monde.

La saison 1997 peut-elle être gâchée par ce divorce annoncé?
En formule 1, comme dans la vie en général, il faut toujours raisonner à long terme. Pour chacun, constructeur, motoriste, pilote, il va être essentielle de faire le maximum durant notre collaboration. Certes, ce n'est pas une situation facile à gérer, mais entre gens intelligents, ça devrait bien se passer.

En même temps que vous débute une autre étoile de la F1, Jackie Stewart. Comment jugez-vous son projet?
Jackie Stewart, qui a déjà fait preuve de remarquables qualités d'hommes d'affaires a choisi, en créant une équipe de toutes pièces, une trajectoire différente de la mienne. Mais les liens amicaux qui nous unissent pourront jouer un rôle dans ce milieu difficile.

Il se dit que vous allez quitter le site de Magny-Cours.
Rien n'est encore décidé. C'est une décision stratégique et financière difficile, un vrai problème. Seule l'optimisation des performances de l'équipe doit être prise en compte.

La couleur est un symbole important pour une équipe française: vos voitures seront-elles toujours bleues en 1998?
Même si j'ai une idée assez précise de ce que sera Prost GP en 1998, le tour de table des partenaires et sponsors ne sera bouclé que d'ici à deux ou trois mois. Alors, on ne peut encore rien dire, même si j'aimerais conserver le bleu. Pour réussir, il nous faudra plus de technologie, plus de moyens humains, du temps et, surtout, plus d'argent. Sur ce plan, nous nous situons parmi les petites écuries. Alors s'il faut changer de couleur pour avoir l'argent nécessaire, cela ne constituera pas un obstacle.

Comment expliquez-vous la supériorité de Williams tout au long des séances d'essais?
Williams est toujours un peu en avance au moment d'aborder la première course, ensuite l'écart tend à diminuer. C'est ainsi depuis plusieurs saisons. Mais tout peut arriver en course. C'est l'enseignement de ce Grand Prix d'Australie: plusieurs équipes devraient disputer un championnat qui s'annonce passionnant.

Vous avez vécu le premier grand prix dans votre nouveau costume de patron d'écurie. Quel sentiment domaine?
Ce nouveau job est usant. Chaque fois qu'une de mes voitures quittait le stand, j'étais très ému. Je considère les équipes dans lesquelles j'évoluais comme une famille. C'est donc toujours la même chose, mais avec les responsabilités en plus.

Quel patron êtes-vous?
J'ai toujours dit qu'on apprend à gagner comme on apprend à perdre. Je veux une équipe au tempérament de vainqueur, j'adopterai donc un management de vainqueur. Dans ce domaine, l'écurie McLaren, qui vient de réussir un Grand Prix d'Australie et un retour au premier plan tout à fait exceptionnels, a toujours été pour moi un modèle. Ses qualités de discipline et d'opiniâtreté sont un exemple. Ces grand professionnels n'ont jamais dévié, même quand leurs voitures n'étaient plus les meilleures.

RECUEILLI PAR FREDERIC PARMENTIER



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