L'ÉQUIPE, 15.02.1997

"Il m'a fallu oublier tout le reste"


POUR MENER A BIEN SON QUATRIEME PROJET DE CREATION D'ECURIE, ALAIN PROST AVOUE S'Y ETRE PLONGE EN IMMERSION TOTALE. LA PREUVE QU'IL EST DECIDE A S'IMPLIQUER A FOND CAR MAINTENANT, LE PLUS INTERESSANT, MAIS LE PLUS DUR AUSSI, COMMENCE.

EN CONFERENCE DE PRESSE, VOUS AVEZ CONFIE VOTRE EMOTION. VOUS AVEZ MEME AVOUE QU'AVANT DE PRENDRE LA PAROLE, VOUS AVIEZ LE TRAC...
J'avais une sensation très différente des précédentes conférences de presse données dans ma vie. J'ai du mal à expliquer mes sentiments. C'était confus. Peut-être parce que j'ai travaillé sans arrêt depuis des mois, que les contrats ont été finalisés au cours des dernières vingt-quatre heures et que brutalement, je me suis présenté devant les journalistes. J'étais dans la position nouvelle d'un propriétaire d'équipe. Il me fallait avoir un langage différent de celui du pilote. En fait, je n'avais rien préparé, justement parce qu'il y avait ce côté émotionnel, important.

AVANT L'ACCORD DE JORDAN POUR LE CHANGEMENT DE NOM, VOUS ETIEZ FRANCHEMENT INQUIET?
Jeudi de la semaine dernière, j'étais pratiquement sûr que cela ne se ferait pas. Je me disais, que, par la faute du refus de Jordan, mon projet allait tomber à l'eau. L'espoir est peu à peu revenu le lendemain, puis pendant le week-end. Et la situation a commencé à se débloquer en début de semaine. Cette attente - depuis presque un mois - était décourageante. Je ne pensais pas que cela deviendrait un si gros problème. J'avais fait mon travail. Je n'avais plus d'autre possibilité qu'être passif. Totalement impuissant...

ET MAINTENANT, QU'AVEZ-VOUS ENVIE DE LUI DIRE?
Merci. Finalement, c'est un type bien. Ça n'a pas été facile, mais il a compris que mon projet allait aussi dans le sens de l'intérêt général. Il y avait une possibilité que Peugeot quitte la F 1 fin 1997. Ensuite, Peugeot a résolu qu'il était possible de continuer si je réussissais à monter mon propre projet. En ce sens, ce que je faisais n'influait pas directement sur l'avenir de Jordan. Je n'ai jamais négocié avec lui personnellement.

QUAND VOUS AVEC REÇU SON FEU VERT, OU MAINTENANT APRES CETTE CONFERENCE DE PRESSE, VOUS AVEZ UN SENTIMENT DE DELIVRANCE?
Pas encore. D'une certain manière, la période que je viens de vivre a été horrible. A chaque fois qu'un problème était levé, un autre surgissait. Je n'ai pas eu le temps de décompresser et d'apprécier. Dès le problème Jordan résolu, j'en ai eu un autre à gérer. Au dernier moment, il y a eu une petite susceptibilité de la part de Honda. Elle est normale. C'est pourquoi je tiens à séparer 1997 de 1998 et à être très performant cette saison.

COMMENT AVEZ-VOUS SUPPORTE CES MOIS DE PRESSION?
Ce fut un engrenage. J'avais discuté avec Briatore du rachat de Ligier depuis très longtemps. Au début, je lui disais que cela ne m'intéressais pas de reprendre une équipe sans savoir ce que je pourrais en faire. Il me fallait un motoriste. Peugeot était mon premier choix. Il y a eu des discussions, il fallait que je montre que j'avais les moyens techniques et financiers de monter une grande équipe, ce qui impliquait de se donner à fond. Quand on est pris dans ce processus, c'est une immersion totale. Il me fallait oublier tout le reste. Je savais que le risque de tout perdre existait. Je suis allé jusqu'au bout...

JUSTEMENT, PAR TROIS FOIS DEJA, VOTRE IDEE DE MONTER VOTRE EQUIPE AVAIT ECHOUE...
C'est bien ce qui me chagrinait. Pas mal de gens m'avaient fait porter le chapeau. Cela m'avait beaucoup déplu mais je ne révélerai jamais les causes de ces échecs. Echouer une quatrième fois m'aurait embêté au plus au point...

EN JUILLET DERNIER, VOUS DISIEZ QUE CE QUI ETAIT PRESENTE ALORS COMME LE «DEFI FRANÇAIS» OU «L'ECURIE FRANCE», N'ETAIT PAS VOTRE PROPRE PROJET. COMMENT LE DECLIC S'EST-IL PRODUIT?
Au début, je n'étais effectivement pas maître d'œuvre. J'étais en situation d'écoute. Je m'étais juré que je ne m'impliquerai de nouveau que s'il y avait une volonté énorme, qu'un motoriste et de partenaires financiers. Et puis je me suis piqué au jeu et j'ai alors compris très vite que c'était à moi de m'investir pleinement.

EDDIE JORDAN A DECLARE QUE VOUS NE SEREZ PAS TOTALEMENT HEUREUX, PARCE QU'EN RACHETANT LIGIER VOUS N'AVEZ PAS FAIT VOTRE PROPRE BEBE AVANT DE LE VOIR GRANDIR.
J'aurai au contraire, beaucoup plus de bonheur. J'en ai déjà en procédant comme je l'ai fait. J'ai toujours dit que je n'accepterais pas de partir «petit», avec un moteur étranger de type client ou d'autres éléments de ce genre. Il m'aurait été impossible de grandir. Eddie avait une équipe de F3000, il est monté en F1 sans aucune pression. Moi, avec mon nom et mon image, dans un pays où les projets sont beaucoup plus compliqués qu'en Angleterre, personne ne m'aurait donné de vrais moyens, tout en tenant d'utiliser mon nom. Au premier échec, on m'aurait assassiné. J'ai donc fait exactement ce que je voulais faire.

DEPUIS CINQ MOIS, AVEZ-VOUS PARFAIS EU ENVIE DE BAISSER LES BRAS?
Il m'est arrivé de me poser la question. De me dire que j'étais complètement fou. Mais je préfère prendre des risques, m'attaquer à un challenge très difficile, plutôt que de rester inactif ou de faire des choses qui ne sont pas motivantes pour l'esprit. Devenir propriétaire de mon équipe après la carrière de pilote que j'ai connue est une énorme satisfaction.

DIRIGER UNE EQUIPE, SERA PLUS DUR QUE DE PILOTER?
Un pilote a beaucoup plus de liberté. Il peut changer d'équipe, la quitter si elle décline. Ce n'est plus mon cas maintenant. Je me retrouve dans une logique d'entreprise, avec des problèmes qu'il faut gérer au quotidien. C'est pour cela que c'est très complexe. Il y a d'ailleurs en F1 des équipes très bien structurées et avec beaucoup d'argent qui ne gagnent pas.

PENDANT LONGTEMPS, CERTAINS ONT DOUTE DE VOTRE DESIR DE VOUS IMPLIQUER TOTALEMENT...
Si ce n'était pas le cas, cela ne pourrait pas marcher. Je m'impliquerai totalement. Cela devient un vrai but, une vraie passion. Ce qui ne m'empêchera pas de jouer au golf ou de continuer à faire du vélo de temps en temps...

FINALEMENT, ÇA VOUS IA PRIS QUAND?
J'ai toujours eu envie de monter mon équipe. Mon premier projet remonte dans le cours de 1989, alors que j'étais en lutte pour le titre mondial, que j'ai remporté. Avoir mon équipe était pour moi la suite logique de ma carrière sportive. Je n'imaginais pas quitter la F1 sans explorer ce domaine.

QUE VOUS DISAIENT LES GENS QUE VOUS RENCONTIEZ DANS LA RUE, LORS DES DERNIERES SEMAINES...
Des choses gentilles. Je n'ai jamais eu une remarque négative et ils avouaient leur impatience. Les gens veulent rêver, j'espère qu'on va leur donner une base solide pour le faire. A l'époque d'Ayrton Senna, mon image de pilote était un peu confuse. La France est en pas de «50/50», c'était Ayrton ou moi. Aujourd'hui, je ressens un consensus autour de moi. C'est la F1 française, ça claque comme un drapeau...

AU TERME DE CETTE GIGANTESQUE COURSE D'OBSTACLES, TOUT COMMENCE...
Je suis au point zéro et j'ai dépensé un énorme énergie pour en arriver là! Il m'a fallu motiver, fédérer, travailler, prouver que je pouvais faire ce que certains disaient que je ne ferais jamais. J'entendais que je ne mettrai pas un centime, que je ne passerai pas tout mon temps à cela, que je laisserai tomber... On m'a mis sans cesse des bâtons dans les roues. Il y a eu ceux qui promettaient et qui ne tenaient pas, ceux qui ont essayé de démonter le projet par derrière. Ça a été comme cela tous les jours. Une véritable course d'obstacles qu'on a franchie ensemble, avec Peugeot. Maintenant ou commence une autre étape. Elle va être beaucoup plus intéressante. Les discussions avec les avocats toute la journée, j'en ai ma claque!

ET SI VOUS AVIEZ ECHOUE?
J'aurais disparu de la F1. J'aurais fait autre chose...

EN CE JOUR OU SON NOM DISPARAIT, AVEZ-VOUS UNE PENSEE POUR GUY LIGIER?
Et comment! Guy a énormément apporté à la F1, à sa manière, qui était un peu aussi celle de Balestre. Des personnages bourrus, avec qui on peut aisément avoir des coups de gueule. On ne s'aperçoit qu'au moment de leur départ de ce qu'ils avaient réussi à faire. Il faut rendre hommage à Guy. L'équipe ne porte plus son nom. Il savait que c'était une condition pour générer une nouvelle image, de l'enthousiasme, des sponsors, un motoriste, mais mes pensées vont vers lui.

VOUS REALISEZ VRAIMENT QUE VOS VOITURES SONT DES PROST?
J'ai du mal! Je vais certainement les appeler encore Ligier de temps à autre....

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PROPOS RECUEILLIS
PAR DIDIER BRAILLON



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