YVELINES MATIN, 08.03.1997

Prost: "Je veux leur apprendre à gagner"


Le plus grand pilote français de tous les temps, quadruple champion du monde, se lance dans une nouvelle aventure en tant que patron d'écurie. Dimanche, à Melbourne, ses voitures prendront leur premier départ en Grand Prix. Avec, dès maintenant, une obsession: gagner. De notre envoyé spécial à Melbourne:

Ça y est. Vous avez vécu les premiers tours de roue de vos voitures, vendredi, lors des essais libres du Grand Prix d'Australie...
J'ai ressenti une terrible pression quand elles ont quitté le stand... et puis quand celle d'Olivier est sortie de la piste. Il avait pour mission de solliciter la voiture au maximum pour valider les réglages. Il s'est fait piéger lors d'un freinage, heureusement sans conséquence. Nous avions eu le temps de constater que la voiture avait un bon potentiel. Nous avons des raisons d'être optimistes.

Dans quel état d'esprit abordez-vous ce premier Grand Prix?
J'arrive dans une situation un peu bizarre. Le nouveau, dans l'équipe, c'est moi! Les gens sont en place. La voiture existe et elle fonctionne bien si j'en juge par les tests menés cet hiver. D'une certaine manière, ça me met dans une situation confortable. D'un autre côté, la voiture portera mon nom mais je n'y aurai pas été pour grand-chose.

Ce seront pourtant deux voitures siglées "Prost" qui vont prendre le départ...
C'est un moment que je vais vivre avec une grande émotion. Je m'y suis préparé. Des émotions, j'en ai connu ces derniers temps! Mais, cette voiture, j'ai envie de la voir marcher. Dans un premier temps, mon rôle sera d'apporter mon expérience personnelle pour améliorer les choses. A partir du moment où la voiture commencera à recevoir des modifications effectuées sous mon contrôle, elle sera sans doute un peu plus à moi.

Regardez-vous encore la voiture avec un œil de pilote?
Oui. Pour combien de temps, je n'en sais rien. Mais ça ne disparaît pas comme ça. En revanche, avoir des vraies compétences pour dire "tel truc ça va et tel autre non" demande une implication technique, donc du temps. Quelle sera ma disponibilité à l'avenir? Je n'en sais rien. Mais, au-delà de mes responsabilités administratives, je ferai tout pour garder ce contact avec la technique.

Après quinze jours dans la peau d'un patron d'écurie, quelle est votre impression?
Mon nouveau boulot est épuisant! Passionnant mais fatigant parce qu'il faut s'occuper en même temps du court et du long terme. Je tiens à être partout à la fois pour commencer. J'ai aussi beaucoup de choses à apprendre au contact des gens qui travaillent avec moi. De mon côté, je veux leur apprendre à gagner. Je suis persuadé qu'on apprend à devenir un gagnant aussi facilement qu'on se met dans la peau d'un perdant. Il faut se forger un moral de vainqueur. J'y travaille auprès de mon équipe.

Votre but est de conquérir le titre mondial. Quand?
Renault a remporté le titre mondial en tant que motoriste. Moi-même, j'ai été champion du monde des pilotes. Mais aucune écurie française n'est encore devenue la meilleure du monde. C'est le challenge que nous nous sommes fixé avec Peugeot. Nous voulons combler ce vide le plus rapidement possible.

Pour atteindre cet objectif, vous devrez renforcer l'équipe...?
Face aux grandes écuries, il faudra faire appel à des spécialistes, C'est prévu, progressivement. Mais je ne veux me priver d'aucune compétence. C'est pourquoi j'ai tenu à préciser que Prost Grand Prix n'est ni l'écurie France, ni une écurie nationale. Ce serait trop réducteur. Il s'agit d'une écurie française.

Vous avez agi en douceur au lendemain de votre prise de pouvoir en venant assister à une séance d'essais privés. Emotion ou volonté de ne rien brusquer?
Il y a de l'émotion mais, en même temps, il faut respecter le passé. Je ne suis pas un chien. Je ne tiens pas à déstabiliser les gens avec qui je vais travailler. J'ai pris soin de ne pas venir perturber leur préparation tant que rien n'était officialisé. Ce n'est pourtant pas l'envie qui me manquait d'aller à Magny-Cours.

Le procès Senna vient de débuter en Italie. Quel est votre sentiment sur l'inculpation de Frank Williams?
C'est un mauvais procès. Le fait de savoir si telle ou telle pièce mécanique est à l'origine de l'accident est un problème qui concerne les ingénieurs, pas les juges d'un tribunal civil. Il ne s'agit pas d'un accident de la route où il conviendrait de rechercher les responsabilités. En compétition automobile, tous les pilotes le savent et l'acceptent en participant à une course, ce risque est induit. D'ailleurs, la famille d'Ayrton Senna reste complètement en re trait dans cette affaire. Je ne comprends pas le but recherché. D'autant que la veille de la mort d'Ayrton, pour une autre raison technique, Roland Ratzenberger s'est tué sur le même circuit d'Imola. Pour lui, il ne s'est rien passé. C'est comme si on hiérarchisait la valeur de la vie.

En tant que patron d'écurie, comment réagiriez-vous si Frank Williams était condamné?
Je tirerais un trait sur les courses en Italie. En compétition automobile, le danger est omniprésent, même si d'énormes progrès ont été faits en matière de sécurité. En alignant des pilotes en course, je n'ai vraiment pas l'impression de les envoyer au casse-pipe. Et je n'ai nulle envie de me sentir dans la position d'un criminel potentiel.

Propos recueillis par
Jean-Paul RENVOIZÉ



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