Ça vous a pris brutalement d'avoir toujours envie d'être le premier, ou est-ce une vieille habitude?
Je vais encore passer pour un prétentieux... Oui, j'avoue avoir toujours voulu être le meilleur. Tout a commencé avec mon frère Daniel, du bras de fer à la course à pied, de "t'es pas cap" en "c'est le premier qui..." En général je l'emportais, sauf pour les conneries où il était imbattable. A l'école, quand il n'y a plus eu de classement, j'ai commencé à m'ennuyer. Je discutais les notes, j'échangeais mes dissertations avec un copain, histoire de voir si j'étais noté sur mon nom ou sur mon travail. Et puis, j'ai tout plaqué trois mois avant le bac, parce qu'il faisait chaud et que mon prof voulait que je ferme la fenêtre... Je suis parti, et ne suis plus jamais revenu.

Etes-vous un héros?
Le meilleur coureur automobile ce n'est pas le plus beau (heureusement pour moi!), ni le plus casse-cou (je prends plutôt moins de risques que les autres), c'est celui qui fait le moins de fautes, qui sait le mieux régler sa voiture. Je suis trop anxieux pour avoir le temps de jouer au héros. S'il m'arrive de faire une crise d'autosatisfaction après une bonne course, ça ne dure pas, je pense aussitôt à la prochaine qu'il va falloir gagner.

Pour les jeunes garçons, pourtant, vous êtes déjà une légende?
C'est vrai, certains ont les jolies filles pour public, moi c'est les mômes, entre dix et quinze ans. Je reçois des dizaines de lettres où l'émotion se lit sur chaque syllabe un peu trop tremblée, et lorsque mon plombier dit à son petit-fils qu'il m'a rencontré, il s'entend répondre: "C'est pas possible. Je ne te crois pas". Il n'y a rien de plus noble que faire rêver les adolescents, leur donner un espoir. Niki Lauda a remporté son premier championnat du monde quand je n'avais pas encore mon permis de conduire. Aujourd'hui, nous travaillons pour la même écurie. Il n'y a pas de mythe qui résiste à la vie quotidienne. Moi, rien ne m'amuse plus que lorsqu'on me voit faire mes courses au supermarché...

Le frôlement de la mort est-ce que ça rend superstitieux?
Non. Enfin oui. C'est-à-dire que je ne me promène pas (ou plus) sur les circuits avec une patte de lapin, mais je remets systématiquement la combinaison et le casque sous lesquels j'ai remporté une victoire. C'est plus pour gagner que pour conjurer le sort. Vous savez, nous sommes tous mortels, les coureurs automobiles, parce qu'ils prennent plus de risques, le savent seulement un peu mieux que les autres. La mort, on y pense, on vit avec. Mais à l'inverse de Bernard Shaw, si vous me disiez: "Ah! mourir jeune!" je vous répondrai: "Et vieillir, vous croyez que c'est drôle?"

Vous croyez en Dieu?
Très fort. J'ai été élevé ainsi. Je ne vais plus à la messe, peut-être parce que c'est à l'heure du warm up, les essais du dimanche matin (sourire), mais j'ai gardé l'habitude de prier tous les soirs. J'ai aussi quelques convictions pas très orthodoxes. Je crois en la réincarnation, je crois que nous avons deux ou trois vies, et que nous aurons le temps d'accomplir une autre partie de nous-même.

Alain Prost-le-revenant, vous le voyez comment?
Homme d'affaires ou poète. J'ai déjà préparé la première version en montant une affaire de publicité (et aussi parce que je me sens coupable lorsqu'à dix heures du matin je n'ai rien à faire). Côté poète, mis à part mon goût pour la nature et le silence, j'ai encore beaucoup de progrès à accomplir. J'ai lu mon premier bouquin il y a à peine six mois. "Le Noir et le Rouge" de Catherine Nay. Des livres, j'en avais commencé beaucoup, je n'arrivais jamais à les finir. Monsieur Mitterrand m'aura au moins rendu ce service. Je rêve aussi d'apprendre à jouer du piano. Je dors cinq heures par nuit, je mange en vingt minutes, je fais du golf, de la course à pied, du bateau, mais je m'en veux toujours pour ce que je ne prends pas le temps de faire. Mon livre, celui que j'aurais dû écrire, c'est "A la recherche du temps perdu"...

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DANIELE GEORGET