FRANCE-SOIR, 04.03.1999

Prost: "Un bond énorme"



Il le dit lui même, "je n'ai plus une minute à moi". Même pas pour s'adonner à l'une de ses distractions favorites: le vélo. Alain Prost est aujourd'hui un chef d'entreprise débordé, un homme d'affaires pressé et un patron d'écurie avisé. Et ça n'est pas le maigre point marqué par son écurie l'an passé qui a altéré la détermination du quadruple champion du monde.

Tous les tests, essais et roulages effectués en janvier et février, ont-ils répondu à vos espérances?
Globalement oui. Les résultats bruts sont encourageants. On a eu de petits soucis comme toutes les autres équipes et on est très légèrement en retard sur le programme prévu. Mais tout ce que l'on a fait correspond à nos objectifs. Il faut remarquer qu'avec une voiture bâtie aux normes 99 on a amélioré nos temps de Barcelone de trois secondes. On a d'ailleurs établi le meilleur chrono de l'hiver à Montmello. Même si cela ne veut pas dire grand chose.

Vous êtes donc satisfait?
L'auto est bien née et c'est déjà une grosse satisfaction. Il fallait qu'on montre qu'on avait du potentiel. Et les tests prouvent qu'on ne s'est pas trompé de direction quant à la conception de la voiture.

Ces essais ne constituent-ils pas une période de stress et d'angoisse?
On vient de passer cette période. C'était en janvier et début février. Il fallait nous situer. Les différents essais de Magny-Cours et de Barcelone m'ont conforté dans mes choix. La bataille va être serrée au milieu du peloton. Mais on a fait un bond énorme. L'auto a été entièrement revue. On a taillé dans la masse en quelque sorte. On est au niveau de nos objectifs.

Depuis quand Loïc Bigois et John Barnard travaillent-ils sur l'AP02?
Il faut le dire tout net. Nous avions l'an passé une mauvaise voiture. Et d'ailleurs, on a trop parlé de la boîte de vitesse, par exemple. Il n'y avait pas que ça. Alors on a fait des études poussés: sur le poids, le centre de gravité, la rigidité et la torsion du châssis. Bref on a tout revu. Et tout analysé. Et dès juillet on a travaillé en soufflerie. Loïc Bigois et John Barnard ont beaucoup collaboré. Quotidiennement. Loïc se chargeant de l'aérodynamique et John s'est penché sur les questions mécaniques. Suspensions en carbone et train avant notamment.

Les mauvais jours de 1998 étaient un passage obligé?
C'est certain. Il fallait en passer par là. La F1 d'aujourd'hui est incroyablement exigeante. Il n'y a pas de miracle possible. Chaque jour, il a fallu qu'on se remette en question.

Franchement n'y a-t-il jamais eu des moments de découragements, l'an passé?
Je ne peux pas cacher que je me suis fait du souci et posé mille questions. Mais du découragement, non. Sincèrement je n'ai jamais éprouvé cette sensation. On a sans doute très mal supporté et vécu la spirale de la défaite.

L'an passé vous avez fait l'apprentissage d'une nouvelle fonction: diriger une équipe. Aujourd'hui qui êtes vous?
Un chef d'entreprise à part entière. Mon objectif est de faire progresser l'écurie, dès cette année, mais je me dois aussi et surtout gérer et préparer le long terme. Mon passé de compétiteur m'aide et notamment dans mes relations avec les pilotes, les ingénieurs et les chefs de projets. Mais Prost Grand Prix c'est d'abord une société de 200 personnes que je dois diriger. Et je suis aussi l'interface avec nos différents partenaires.

L'an passé, Corrado Provera insistait sur la nécessité d'améliorer les relations entre Peugeot et Prost Grand Prix. Y êtes-vous parvenu?
On commence à être un peu plus complices, je dirai. Mais la F1 est tellement complexe qu'il faut du temps pour se connaître. Une certitude: on a besoin d'un grand constructeur. C'est impératif de disposer d'un grand groupe automobile à nos côtés. Et ce sera comme ça pour toutes les écuries dans les années qui viennent. C'est une réalité économique incontournable pour le monde de la F1.

A Monza, l'an passé, les responsables de Peugeot on précisé qu'ils évalueraient, en juillet prochain, la situation de l'écurie pour envisager de poursuivre ou non l'aventure en F1. Est-ce une échéance qui vous préoccupe?
Je suis confiant. Il faut simplement que les motoristes en général, et Peugeot dans notre cas, se fasse une idée précise de ce que peut leur apporter cette discipline exigeante qu'est la F1.

Vous êtes sous contrat avec Peugeot jusqu'en 2000. Vous pensez déjà aux prochaines années?
Je ne pense qu'à ça. Mon souci majeur réside dans la capacité à obtenir une visibilité sur le long terme. Pour les 5 ou 6 prochaines années. C'est déterminant. toutes les grandes écuries établissent leur stratégie sur du long terme. On ne vient plus en F1 pour faire un coup sur deux ou trois ans. C'est pourquoi je rencontre et discute avec beaucoup de gens.

Vous avez conservé les deux mêmes pilotes, c'était essentiel pour la bonne marche de l'écurie?
Essentiel je ne sais pas. Mais il me semblait important d'assurer une certaine continuité. Et puis je connais bien ces deux garçons, leur défauts et leurs qualités. Et surtout je sais ce dont ils sont capables avec une bonne auto.

A propos d'auto, avez-vous essayé l'AP02?
Ah non! Ni l'AP01 ni l'AP02. Tout ça, c'est fini.

Vous avez encore le temps de faire du vélo?
Plus tellement non. Mon emploi du temps est trop chargé. Mais il m'arrive encore de faire quelques kilomètres juste pour m'entretenir physiquement.

Alain Prost, vous n'éprouvez aucun regret de vous être lancé dans une telle aventure?
Je n'ai aucun regret. J'ai beaucoup de soucis, mais honnêtement j'en ai vu d'autres. Imaginez que ce projet réussisse. Et il va réussir. Vous savez beaucoup de gens pensent qu'il n'y a que les Anglais pour réussir en F1. Depuis deux ou trois ans, je dis qu'en France on a tout ce qu'il faut pour faire gagner une écurie française. Le problème c'est qu'un tel challenge exige une adhésion totale de tous les partenaires, quels qu'ils soient. Il faut que tous s'engagent à 100 %. C'est vrai qu'obtenir l'adhésion de tous n'est pas simple. En fait, il est difficile de fédérer des gens autour d'un projet. C'est un peu un mal français.

Prost Grand Prix champion du monde c'est à quelle échéance?
Impossible de donner une date. Aujourd'hui il est impossible de se battre avec les meilleurs. Mais être plus performant, ça c'est possible. Et puis regardez Ferrari, le plus gros budget de la F1, court après le titre pilote depuis 1979. Pas de date mais on aimerait gagner le plus vite possible.

Recueilli par C. P.



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