GRANDS PRIX, 01.11.1986

Alain Prost: "Mes courses 1986"



GRAND PRIX DU BRESIL 1986

Alain Prost: "Comme en 84 et en 85, la voiture fut prête juste à temps. Les essais intersaisons à Rio de Janeiro s'étaient plutôt mal passés: nos motoristes expérimentaient de nouveaux réglages qui s'avérèrent sans résultats et retardèrent notre emploi du temps. Et lorsque vint le moment des premiers essais officiels, c'était donc l'inconnu. Mes craintes concernaient surtout la puissance et la consommation. Le châssis, lui, avait fait ses preuves au cours de la saison précédente, et, quoique largement modifié sous l'appellation MP4-2C, il ne pouvait avoir perdu toutes ses qualités. Un petit essai de roulage avant de charger les voitures dans l'avion-cargo m'aurait cependant bien rassuré... Une fois encore, John Barnard, le concepteur de la McLaren MP4, avait fait un petit chef- d'œuvre: la voiture était un excellent compromis adhérence/finesse aérodynamique, et elle le démontra durant le warm up où j'effectuai le meilleur temps, faute d'avoir pu le faire la veille ou l'avant-veille. Une bonne vieille coutume, en quelque sorte. Je pris un très mauvais départ, et il me fallut remonter, ce que je parvins à faire: au vingtième tour, je passai en tête, et je m'arrêtai peu de temps après pour changer de pneus. Une fois revenu en course, je fis un tour lancé avant d'abandonner, pour la même raison que Rosberg, mon nouvel équipier: le piston du sixième cylindre était percé. On pensa immédiatement à une erreur de programmation du Motronic – l'ordinateur qui commande l'injection – mais ce fut en réalité un mauvais concours de circonstances dû à une essence de médiocre qualité, des détails de programmation inadéquats et un réglage de richesse qui ne convenait pas, tout cela résultant de nos essais préliminaires quelque peu bâclés. Le problème de l'essence – secret des performances d'un moteur suralimenté – remettait en question pas mal de données : c'était inquiétant."


GRAND PRIX D'ESPAGNE 1986

Alain Prost: "Jerez, circuit nouveau, et difficulté d'adhérence début des essais comme c'est la tradition. Chez TAG- Porsche, les motoristes sont revenus à des réglages électroniques éprouvés. Je me qualifie en quatrième position sur la grille, malgré des difficultés de motricité, le défaut principal des McLaren sur les circuits plutôt lents. Pendant la course, je me suis maintenu dans le groupe de tête, mené par Senna, Piquet, et Rosberg qui marchaient fort. D'après les prévisions de nos ingénieurs, il ne devait pas y avoir de problèmes de consommation ni de risques de panne d'essence, bien que le circuit se soit révélé relativement rapide, plus de 170 de moyenne aux essais. Or, voilà que l'ordinateur de bord de la McLaren se mit à clignoter et je fus contraint de lever le pied. Pour la même raison également, je décidai de ne pas changer de pneus. Je n'avais rien à y gagner, j'allais consommer plus, et mieux valait maintenir un rythme capable de m'amener au bout. D'ailleurs, avec un peu de chance, ceux qui avaient choisi de s'arrêter, comme Mansell, par exemple, ne pourraient pas me rattraper. Pourtant, rouler à l'économie ne fut pas la bonne solution. Non seulement Senna parvint à s'échapper mais, à quatre tours de l'arrivée, Mansell était revenu dans mes roues. J'avais tout faux, l'ordinateur aussi: il restait douze litres dans le réservoir..."


GRAND PRIX DE SAINT-MARIN 1986

Alain Prost: "J'étais en quatrième position sur la grille de départ, mais ça n'avait pas grande signification: le circuit d'Imola est l'un des plus durs qui soit sur le plan de la consommation et de ça dépendait la course. J'avais le choix entre deux solutions: petites turbines, moins de puissance, mais moins d'essence consommée, grosses turbines, beaucoup de puissance, mais risque de panne de carburant. J'avais effectué tous les essais avec cette dernière solution, et je n'essayai la première que durant le warm-up du dimanche matin. Et, comme mes proches le savent, je suis un homme méfiant: je réservai mon choix pour la dernière minute, et j'effectuai deux tours de mise en place avec deux voitures différentes, l'une équipée d'un moteur à gros turbo-compresseurs, et l'autre, des petits turbos sur lesquels je portai finalement mon choix. Je savais que la course restait néanmoins difficile, et je me fixai un tableau de marche avec une pression de suralimentation donnée que j'allais constamment respecter, excepté une fois : pour dépasser Senna, au début du Grand Prix. Je laissai donc Rosberg et Piquet se bagarrer, sans intervenir. Après les changements de pneus, je commençai à forcer l'allure, en tirant un peu plus sur les freins et la gomme, mais sans jamais toucher à la suralimentation. Je croyais avoir de la marge, et lorsque je vis Rosberg arrêté à deux tours de la fin, je n'imaginai pas que sa voiture était à court de carburant. J'ai eu chaud."


GRAND PRIX DE MONACO 1986

Alain Prost: "Imola fut une victoire "limite", mais elle me remit bien en selle dans la course au titre mondial, avec deux points d'écarts par rapport à Senna et Piquet. Je devais donc jouer serré à Monaco contre les deux Brésiliens, sachant qu'il y avait deux étapes bien distinctes à franchir: les essais d'abord, le Grand Prix proprement dit ensuite. J'assurai une première qualification en quatrième position dès le jeudi après-midi, et cela, grâce à Rosberg. En effet, j'étais parti pour un bon tour avec mon premier train de pneus de qualifications, lorsque la voiture se mit à vibrer terriblement. Mais, comme je n'avais pas envie de sacrifier ce premier train, je voulus insister. Arriva ce qui devait arriver: je tapai dans le rail à la chicane. Et c'est sur le mulet, réglé par Rosberg, que j'utilisai mon deuxième train de pneus avec lequel j'effectuai le quatrième temps. Quant aux vibrations initiales, elles étaient dues à une rupture du différentiel. Le samedi, tout rentra dans l'ordre et, malgré une fuite d'essence et un changement de boîte, je pus vérifier que ma voiture était parfaitement équilibrée, que ce soit avec le plein d'essence ou à vide. Le lendemain, je pris un bon départ et, excepté durant le changement de pneus, je fis la course en tête. Voilà le genre de victoire que j'aurais aimé remporter durant toute ma carrière: une victoire simple et nette."


GRAND PRIX DE BELGIQUE 1986

Alain Prost: "Depuis le début de la saison, les Williams avait fait forte impression. A Monaco, les motoristes japonais voulurent pousser trop loin leurs recherches, et les Honda cassèrent comme du verre. Là, en Belgique, on est au pied du mur: un long circuit, à forte moyenne et longues accélérations à p1ein régime. Les Lotus sont elles aussi, celle de Senna tout au moins, des concurrentes émérites, avec les qualités de souplesse du moteur Renault à bas régime. A la date du Grand Prix de Belgique, je connais donc bien mes rivaux, et il s'agit de prendre des points à Mansell et à Piquet sur les circuits rapides, à Senna sur les circuits serrés, avec un petit avantage: en toute circonstance, la McLaren exige moins des pneus que les deux autres voitures. Compte tenu que nous n'avons pas de moteur spécial pour les qualifications, je suis satisfait de ma troisième place sur la grille de Spa. La McLaren est en tout point parfaite. Malheureusement, il y a cet accrochage du début de course qui ruine absolument tous mes espoirs: Senna a légèrement serré Berger qui est venu me serrer à son tour, et, coincé par le rail, je n'ai pu l'éviter. Personne n'est à incriminer, c'est la course. Je me débrouille à sauter par-dessus la roue de Berger, la voiture est faussée, le châssis tordu comme on le verra par la suite. Peu importe: je fais un beau Grand Prix avec le meilleur tour, 6/10e plus rapide que Mansell, mais je ne rapporte qu'un point. En réalité, j'en ai perdu neuf."


GRAND PRIX DU CANADA 1986

Alain Prost: "Depuis quelques courses, Goodyear avait graduellement durci le mélange de gomme de ses pneumatiques, pour satisfaire à la demande du plus grand nombre: et seules les McLaren, qui étaient jusqu'alors plutôt avantagées car pouvant utiliser des gommes de course tendres, perdirent cette petite marge. Ce phénomène se faisait donc de plus en plus perceptible, précisément au moment où nous abordions la campagne nord-américaine à Montréal, un circuit particulièrement sévère pour la consommation – autant que Imola – et très exigeant pour les freins. Je n'étais pas réellement satisfait de la voiture après les essais. Je pris un bon départ, mais je restai quatre tours derrière Senna avant de pouvoir le dépasser en rusant comme un Sioux. Et puis, comme à Imola, Rosberg me dépassa pour rejoindre Mansell en tête, et je les laissai faire, car je m'étais fixé un tableau de consommation prudent. Néanmoins, pu avant la mi-course, j'avais pu regagner quelques dixièmes lorsque le moment vint de changer les pneus, et cet arrêt fut une catastrophe: on me fit signe de partir et je lâchai les freins alors que la roue arrière gauche n'était pas encore serrée. Dans ces cas-là, les mécaniciens sont au bord de l'affolement: la voiture était toujours sur le "lève-vite", l'écrou tournait à vide sur le moyeu, et je ne repartis finalement qu'au bout de vingt secondes, soit le double de ce que demande généralement ce type d'opération. J'avais visé Mansell, il fallait maintenant me préserver de Piquet à qui je repris la seconde place de justesse, avant l'arrivée."


GRAND PRIX DES ÉTATS-UNIS 1986

Alain Prost: "Detroit: le circuit que je déteste particulièrement, ce qui n'est pas fait pour me motiver. La voiture n'était pas bien réglée, et, en ce qui concerne le mulet, je l'avais fracassé dans un rail lors de la dernière séance d'essais; il tenait là son vrai rôle de voiture de secours. J'étais en septième position sur la grille, derrière Laffite, et il m'aurait été difficile de faire mieux: nous manquions réellement d'adhérence à cause de la piste, instable et parsemée de bosses, à cause de nos voitures également. L'appui de la McLaren provient en majeure partie de son dessin et non pas de ses ailerons: l'appui est donc en fonction de la vitesse. Aussi, dans tous les virages serrés et les épingles de Detroit, - la majeure partie du circuit – la voiture peinait, aux essais tout au moins. Le jour de la course, avec le plein d'essence, elle s'améliora notablement. Finalement, j'étais confiant pour le Grand Prix, sachant cependant qu'il y aurait du monde à dépasser. Ce fut en réalité un enfer, tant il faisait chaud, et ce Grand Prix de Detroit fut le plus dur de toute la saison, l'un des plus difficiles de ma carrière. Comble de malchance, la panne mystérieuse (déjà apparue par forte chaleur) vint me perturber mes derniers tours: au freinage, on ne savait pour quelles raisons mécaniques ou électroniques, le moteur coupait. Je freinais de plus en plus tôt; les freins avaient tendance à "glacer" et perdaient toute leur efficacité. La pédale devenait de plus en plus dure. Je dus laisser passer Laffite et, derrière lui, j'assurai la troisième place. Un bon résultat, somme toute."


GRAND PRIX DE FRANCE 1986

Alain Prost: "J'avais rapporté dix points d'Amérique du Nord, et donc atteint l'objectif que je m'étais fixé. Pour le Grand Prix de France, sur le circuit Paul-Ricard, la voiture avait reçu quelques modifications aérodynamiques, des dérives sous l'aileron avant, et des cornières sous les flancs, qui seront d'ailleurs interdites plus tard, au Grand Prix d'Allemagne. Ma cinquième place sur la grille de départ ne reflète pas exactement les essais où je m'étais surtout préoccupé de faire des tests avec le plein d'essence, tests qui portèrent leurs fruits au warm-up où Keke et moi devançâmes tous les autres pilotes. Le circuit Paul-Ricard avait changé d'aspect à la suite de l'accident fatal de notre camarade Elio: il ne favorisait plus seulement l'aérodynamique, mais également les qualités de souplesse du moteur. Nous pensions être à l'abri des problèmes de consommation et finalement tout, durant ce Grand Prix de France, fut basé là-dessus. J'avais joué au chat et à la souris avec Mansell durant le début de la course. Il avait pris le parti d'effectuer deux arrêts-pneus, et moi, un seul; et au moment d'en découdre pour de bon, je me retrouvai dans l'impossibilité de lutter: je n'avais plus assez d'essence. Je baissai la pression de suralimentation et j'assurai la deuxième place. Lorsque le drapeau s'abaissa, le réservoir était à sec".


GRAND PRIX D'ANGLETERRE 1986

Alain Prost: "En 1984, lorsque les McLaren étaient chaussées par Michelin, Brands Hatch ne nous avait présenté aucune espèce de problème, ce qui ne fut le cas ni en 85, ni cette année avec les pneus Goodyear. Pourtant, fondamentalement, on ne pouvait les mettre en cause. Simplement, à cause du revêtement et de certains virages, à cause des bosses également, nous avions la plus grande difficulté à trouver de l'adhérence. De plus, et parce qu'à Brands Hatch il faut de la puissance, le moteur avait un peu de temps de réponse. Tous ces phénomènes combinés donnaient la partie belle à nos bêtes noires: les deux Williams qui, durant le week-end, exercèrent une totale domination. Je pris un bon premier départ, puisque je regagnai aussitôt quatre places. Malheureusement, il y eut l'accident de Jacques; un second départ fut donné et je n'avais pas trop le moral. Je fis une course laborieuse. Dans les premiers kilomètres, la voiture s'avéra très délicate à conduire et très instable. J'avais perdu les plombs d'équilibrage sur une roue, et les vibrations devinrent inquiétantes, au point que je dus m'arrêter beaucoup plus tôt que prévu. J'étais déconcentré par l'accident de Jacques, et ne voulais prendre aucun risque. Une fois la cause des vibrations déterminée par le changement de roues, j'attaquai de nouveau, et je reperdis une deuxième fois les plombs; chez Goodyear, il y avait un autre scotch, soi-disant plus adhérent... Encore du terrain perdu avant que je ne m'arrête pour changer une deuxième fois mes pneus. Après quoi, la voiture retrouva un certain équilibre, mais il était trop tard. J'étais à un tour des Williams, la course était jouée, j'avais le résultat que je méritais".


GRAND PRIX D'ALLEMAGNE 1986

Alain Prost: "En Angleterre, on avait franchi le cap de la mi-saison, et je n'avais pas vu le temps passer. Ce que je remarquais clairement en revanche, c'était la domination des moteurs Honda et, en mon for intérieur, je me disais que heureusement, chez Williams, ils n'avaient pas privilégié l'un de leurs pilotes plutôt que l'autre, ce qui répartissait leurs chances et maintenait une rivalité qui nous avantageait. En Allemagne, nous avions des moteurs largement améliorés, avec de nouveaux turbos, nouveaux réglages électroniques, nouvelle distribution. La voiture avait nettement progressé en accélération et en vitesse de pointe, ce qui me permit de partir en première ligne, à côté de Keke qui avait effectué la "pole position". C'était une bonne surprise. Mais si ces améliorations avaient leur avantage, elles avaient aussi leur défaut: nous consommions beaucoup trop, et je m'en rendis compte dès le samedi matin en faisant des mesures. Cette menace de panne sèche amenuisait considérablement le bénéfice de la première ligne, ainsi que nos chances de victoire. Je fis à nouveau une course laborieuse, coincé entre le désir de rester au contact des autres et la consommation. Bien sûr, j'aurais pu ralentir encore plus, mais je ne le fis pas, car l'ordinateur ne me prévint pas de l'imminence de la panne. Et j'en fus réduit à terminer... à pied, à deux cents mètres du but, en poussant la voiture. Ce que je fis, frustré, pour protester".


GRAND PRIX DE HONGRIE 1986

Alain Prost: "Comme à Jerez en début de saison, nos essais furent perturbés, à Budapest, par le revêtement trop neuf. Sur le coup, je n'y pris pas garde. Comme d'autres, j'étais attiré par les détails de ce premier Grand Prix à l'Est, ce qui ne m'empêcha pas de remarquer que les Hongrois, malgré leur évidente volonté de bien faire sur tous les plans, avaient négligé le tracé du circuit proprement dit et ne l'avaient pas conçu à la taille de la Fl. Au terme des premiers essais, je fus convaincu, malgré le revêtement glissant, que nos MacLaren, toujours très fines, manquaient d'appui. Cependant, il me fallut toute mon énergie pour convaincre John Barnard de nous trouver une solution qui paraissait évidente, rien qu'en lisant la feuille des vitesses de pointe où nous étions douze/quinze km/h plus rapides que tous les autres. Le lendemain enfin, Barnard ajouta des dérives supplémentaires et quelques autres améliorations, et je commençai à progresser. J'obtins finalement le troisième temps sur la grille, derrière Senna et Piquet, et j'étais très confiant pour la course: la voiture était devenue un modèle d'équilibre. Malheureusement, je ne parvins même pas à boucler le tour de mise en place: l'alternateur avait grillé. Je me garai sur le bord du circuit et revins en courant pour prendre le mulet – décidément, j'étais souvent à pied, ces temps-ci – qui me permit de boucler seize tours... avant de tomber en panne d'électronique. Je perdis de longues minutes à mon stand, pour repartir et accrocher Arnoux. Involontairement, bien sûr. Vraiment, ce n'était pas mon jour."


GRAND PRIX D'AUTRICHE 1986

Alain Prost: "J'aime beaucoup le circuit de Zeltweg pour les sensations vraies et fortes qu'il offre aux pilotes, par ses longues courbes à la fois techniques et rapides, la vitesse de pointe qu'il exige, la concentration et le doigté qu'il requiert. Là, la F1 s'exprime réellement, et Zeltweg est son temple. Pour nous donner un avantage décisif, nous avions décidé de mener, Keke et moi, des essais conjugués: lui se maintiendrait dans des plages de réglages traditionnels, et je devais, pour ma part, explorer de nouvelles solutions. John Barnard décida de céder à la "mode" de la garde au sol réduite, et fit abaisser ma voiture au maximum, ce qui eut deux conséquences néfastes: mes performances ne s'amélioraient pas, au contraire et, de surcroît, je détestais talonner de la sorte. La voiture était intenable, et tressautait à la moindre inégalité du revêtement. Enfin, à tout ça, s'ajoutèrent des ennuis de moteur qui, combinés au fait que ce n'était pas à mon tour de disposer du mulet, me reléguèrent à la cinquième place de la grille. Heureusement, il restait quelques heures entre le warm-up et le Grand Prix, et je les passai avec mon ingénieur Tim Wright à remettre ma voiture dans une configuration proche de celle de Rosberg. La suite des événements prouva que j'avais eu raison. En revanche, je n'avais pas prévu que ce que nous appelions, par dérision, la "panne mystérieuse" – puisque nos motoristes ne l'avaient toujours pas résolue – allait totalement perturber mes derniers tours de course. Ils furent un calvaire, et je dus me débattre avec le frein, l'accélérateur, les pompes électriques, le boost et les vitesses pour arriver au bout. J'avais bien fait de prendre de l'avance."


GRAND PRIX D'ITALIE 1986

Alain Prost: "Vraiment, ce Grand Prix-là, je ne pouvais pas le gagner. Je ne me souviens pas d'avoir été victime, dans ma carrière de pilote de course, d'un tel enchaînement de faits, d'un tel amoncellement de problèmes en si peu de temps. J'avais fait de bons essais, et je m'étais qualifié sur la première ligne à côté de Fabi. Tout se présentait donc pour le mieux. C'est au moment du drapeau vert, qui commande le tour de formation de la grille, avant le départ, que tout se déclencha. Avec l'alternateur en court-circuit, la voiture refusa de démarrer. Dès lors, je ne pouvais plus avoir recours au mulet. Mais, dans ces moments-là, on n'a pas le loisir de réfléchir aux règlements, on pense avant tout à la course, et aux autres qui partent sans vous. Les mécaniciens avaient préparé la voiture de réserve, je courus vers elle comme un naufragé nage vers une bouée. Et je pris le départ, des stands, après les autres, donnant tout ce que je pouvais donner. Je réussis à rattraper Keke, ce qui signifiait que j'étais revenu de la vingt-septième à la cinquième place en vingt et un tours. Au moment où je le dépassai, sur la partie de gauche de la piste, la voiture sauta, le capot avant s'effondra, et, raclant sur le sol, la dérive de l'aileron avant vint crever la roue. Je revins au stand, où, forcément, mon arrêt fut assez long. Je repartis avec la rage au cœur, pour voir, cinq tours plus tard, le drapeau noir. J'étais disqualifié. C'est alors que la pédale d'accélérateur s'enfonça dans le vide: le moteur venait de casser!!!"


GRAND PRIX DE PORTUGAL 1986

Alain Prost: "Le championnat du monde arrivait à terme, et ce Grand Prix du Portugal était la course à ne pas manquer, cela, aussi bien pour Mansell que pour Piquet, Senna ou moi. Et il se trouva que, de ce dernier carré de pilotes capables de conquérir le titre mondial, Senna fut, bien contre son gré, le premier à lâcher prise. Il s'était fort bien battu mais, par une malencontreuse panne d'essence dans le dernier tour de la course, il n'avait pu se maintenir à son rang. L'équipe McLaren-TAG avait produit un gros effort en ma faveur. J'avais désormais le mulet à mon entière disposition, une décision que Keke avait sportivement accepté, nos mécaniciens avaient fabriqué un nouveau châssis, et de plus, les motoristes de Porsche avaient préparé un moteur très largement modifié, plus puissant, et, en principe, plus sobre. Enfin, en l'absence de John Barnard, en instance de départ chez Ferrari, nos ingénieurs, Tim Wright et Steve Nichols, avaient imaginé quelques retouches aérodynamiques sur nos voitures. Comme on le voit, tout le monde était prêt pour le final. Malheureusement, je n'étais pas moi-même dans de bonnes conditions psychologiques; j'essayai bien de me retrancher derrière l'envie de gagner, mais le cœur n'y était pas. Une fois en course, pourtant, je fis tout ce que je pus, et je peux le dire: j'attaquai comme il m'était rarement arrivé de le faire. Hélas, à la suite d'une incroyable cascade d'incidents mineurs, je dus partir avec le mulet dont les turbos fonctionnaient mal. Je me battis d'un bout à l'autre du Grand Prix avec un temps de réponse incroyable, et je terminai, harassé, à une seconde place inattendue. C'était la première fois durant ce week-end que la chance m'avait souri."


GRAND PRIX DU MEXIQUE 1986

Alain Prost: "Tout avait mal commencé car les motoristes n'arrivaient pas à adapter le moteur à l'altitude. Deux jours durant, ils cherchèrent la bonne solution qu'ils finirent par découvrir le samedi, à la veille de la course. Et cela me permit, malgré une modeste cinquième place sur la grille de départ, de bien régler mon châssis. Le dimanche matin, au warm-up, il était particulièrement efficace mais sans doute un peu trop pointu à conduire. Je pris donc le parti de le modifier très légèrement, ce qui 1e rendit sous-vireur dans les grandes courbes. En fonction de cela, la course se résuma à peu de choses: je battis les Williams à plat de couture, mais, malheureusement, devant moi, il y avait Berger. Je veux dire par là que Gerhard se révéla être ce que l'on savait déjà, c'est-à-dire un pilote plein d'avenir, que sa Benetton bénéficiait d'un moteur BMW pourvu d'un turbo unique – un avantage en altitude – et qu'elle était chaussée de pneus Pirelli qui s'avérèrent supérieurs à ce que Goodyear put nous fournir. Le premier train de pneus que j'utilisais bulla très rapidement et je m'arrêtai le plus vite possible pour le changer. Le deuxième train bulla aussitôt mais je décidai de l'économiser: je ne tenais pas à m'arrêter une deuxième fois, d'autant qu'en tête, Berger ne semblait pas baisser sa cadence et que, de plus, j'avais senti mon moteur perdre soudainement de la puissance: il me faudrait donc du temps pour relancer la machine. D'ailleurs, à quinze tours de la fin, je perdis l'usage d'un cylindre. Je terminai second derrière Berger et j'avais fait l'essentiel: je conservai mes chances jusqu'au bout, jusqu'au dernier Grand Prix, en Australie."


GRAND PRIX D'AUSTRALIE 1986

Alain Prost: "C'est de la puissance qu'il fallait, et j'en avais. Pour les pneus, j'étais un peu moins sûr de mon coup, car, au warm-up, je n'avais pu, par la faute du trafic, évaluer les différentes qualités des B et des C. Et puis, c'était parti, et il fallut que j'aille rejoindre les autres en tête. De tous, c'est Mansell qui me donna le plus de mal. J'étais juste derrière Piquet; ça devait l'énerver: il se mit en tête-à-queue. Après ma crevaison, et le changement de pneus qui s'ensuivit, tout fut à refaire. Je revins une nouvelle fois derrière Piquet, qui en profita pour feinter Mansell et passer. Pour ma part, je le voyais sur le panneau, je me rapprochais régulièrement de Nigel jusqu'à être dans ses roues et à viser sa boîte de vitesses. Dans les freinages et les courbes, il était une proie facile. J'avais beau freiner de plus en plus tard, je ne parvenais pas à monter à sa hauteur. Je décidai donc de feinter moi aussi. Je le laissai prendre du champ, et, parti de loin sans prévenir, je fondis sur lui. Rappelez-vous: c'était au 63e tour. J'arrivai dans son aileron, et je déboîtai sèchement, à droite, pour m'infiltrer à la corde. Je n'en crus pas mes yeux, et pourtant, c'était la réalité. Devant moi, en pleine piste, Keke, oui Keke était debout, en train d'examiner sa voiture qu'il avait rangé sur le bas-côté car il venait de déchaper. Au moment où je fus sur lui, il se retourna, se rangea de justesse et me lança un petit signe de la main, pas effrayé. C'était une situation surréaliste. J'avais été obligé de forcer le passage et de donner une pichenette à Mansell. Il y a des jours où on joue gros; mais, ça valait le coup, pas vrai?"



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